Aller au contenu

Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/352

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
339
LES ESCLAVES

Mackenzie, en chantant des airs bretons. La terre de leur mission en vue, ils lançaient à leurs amis qui, en agitant leur mouchoir, les attendaient sur la grève :

Nous venons encor
Du pays d’Arvor…

C’est toujours leurs délices, en fendant les « flots harmonieux » des soirs tranquilles, de répéter aux échos sauvages, à la cadence des rames, les strophes de leur poète :

Oh ! qu’elle est belle, ma Bretagne !
Sous son ciel gris, il faut la voir :
Elle est plus belle que l’Espagne,
Qui ne s’éveille que le soir !
Elle est plus belle que Venise,
Qui mire son front dans les eaux…

La dernière des expéditions conduites par le Père Lecorre sur le Grand Lac des Esclaves, en juillet 1895, oublia toutefois ses chansons, ou mieux elle acheva ses 38 heures d’épouvante par un cantique plus beau que les chants de Bretagne, par le Magnificat des actions de grâces, comme après les miracles de Lourdes.

Il y avait avec le Père Lecorre cinq Bretons, aspirants Oblats : le Père Vacher, les Frères Corfmat, Rio, Barbier, Le Moël ; deux Bretonnes, postulantes Sœurs Grises du Canada — aujourd’hui Sœurs Didace et Denise ; — quatre orphelines trouvées en chemin et cinq rameurs indiens. L’embarcation était le scow, radeau grossier, sans voile et sans quille, que nous savons. Toutes les pièces de ravitaillement de l’orphelinat de la Providence, pour l’année suivante, formaient la cargaison.

Jusqu’aux Îles Brûlées, lieu du premier campement sur le Grand Lac, depuis le fort Résolution, tout allait au mieux.

Dès trois heures du matin, raconte le Père Lecorre, notre guide Alphonse Mandeville nous donna l’éveil ; une brise favorable s’était levée dans la nuit et on partit gaiment à la voile, pointant vers l’ile aux Morts, nord-ouest. Déjà elle apparaissait à l’horizon ; une demi-heure du train dont nous filions, et nous allions allumer un bon feu pour nous réchauffer, un feu du Père Vacher.

Mais la brise fraîchissait de plus en plus et changeait de direc-