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Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/428

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LES LOUCHEUX

Elle était digne de la qualification de Mère des Loucheux, qu’aimait à lui donner Madame Gaudet.[1]

Mère et grand’mère de beaucoup, Cécile le fut, au vrai, selon la nature ; elle devint la mère de tous dans la foi et dans l’abolition du paganisme.

Née on ne sait quand, instruite par Madame Gaudet, bien avant 1860, elle désirait depuis longtemps et travaillait à faire désirer l’arrivée du missionnaire, lorsque le Père Grollier la baptisa. Cheferesse reconnue, telle la bonne femme Houle du fort des Liards, elle eut pour sujets les Loucheux du Mackenzie — ainsi désignait-on les Indiens du confluent de la Rivière Rouge Arctique et du fleuve Mackenzie pour les distinguer de ceux de la rivière Peel (fort Mac-Pherson). Énorme de carrure, d’un port altier, franche de figure, orateur au verbe cinglant, elle entraînait à la conviction et à l’action, tant par la menace de son poing que par le procédé de l’affirmation, secret et force de l’éloquence, qu’elle maniait irrésistiblement. Tout pliait devant ses discours. Avant qu’elle eût enseigné la langue loucheuse au Père Séguin, elle traduisait à l’assemblée les sermons qu’il prononçait en peau-de-lièvre. Possédant par cœur le catéchisme que le missionnaire lui avait composé, et appuyée sur cette doctrine, elle prêchait d’elle-même ; elle tranchait les cas de conscience. « Cécile l’a dit ! » était le Roma locuta est de toutes les discussions et finissait toutes les causes. Très âgée, elle apprend qu’un de ses petits fils, gaillard superbe et chef du fort Mac-Pherson, incline à se laisser séduire par le ministre. Elle va à lui :

— Comment, toi, un de mes enfants, tu abandonnerais la foi catholique ! Entends-le bien : tant que Cécile sera, capable de tenir un bâton, pas un de ses Loucheux ne deviendra apostat !

  1. Madame Gaudet, d’origine française, quoique née au Mackenzie. était la femme de M. Gaudet, Canadien-français de Montréal, venu très jeune dans le pays, et chargé pendant plus d’un demi-siècle du poste-de-traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson, au fort Good-Hope. De ce gentilhomme, de sa compagne encore plus, de leurs enfants distingués aussi, les missionnaires du bas-Mackenzie reçurent un puissant appui. Mme Gaudet, l’insigne bienfaitrice, mourut en prédestinée, à Good-Hope, l’année 1914. D’avoir discerné et préparé Cécile pour l’apostolat, de l’avoir ensuite soutenue par ses exemples par ses conseils, par ses secours temporels, ne furent pas les moindres de ses bonnes œuvres.