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Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/453

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AUX GLACES POLAIRES

C’est en 1860 que les tribus de l’embouchure du Mackenzie et des îles qui s’échelonnent depuis le fort Mac Pherson jusqu’à l’île Herschel, reçurent la première visite du premier missionnaire, le Père Grollier. Il s’y rendit du fort Good-Hope, sa résidence, à deux reprises, pour essayer de les convertir. Ce fut en vain.

Ses successeurs, les Pères Séguin et Petitot, échouèrent pareillement devant l’irréductible entêtement des Esquimaux.[1]


Plus tard, lorsqu’une mission fut fondée au fort Mac-Pherson, le Père Lefebvre, assistant du Père Giroux, missionnaire des Loucheux, eut la charge spéciale de s’occuper des


    toutes sortes entravèrent les efforts de son zèle. Il fit cependant beaucoup de bien aux Esquimaux qui voulurent l’écouter, durant les deux années qu’il passa au Labrador. Il avait également appris la langue esquimaude au point d’en composer un dictionnaire. Mais le bateau, qu’il devait prendre lui-même, et sur lequel il avait embarqué ses notes, avec tout ce qui était à son usage, périt, corps et biens, dans l’Atlantique. Au sujet de la langue, le Père Laçasse écrivait l’une de ses impressions avec la verve pittoresque qu’on lui connaît :

    « En m’exerçant à prononcer un de leurs k, ou kh, j’ai failli prendre un mal de gorge. Le moyen, je vous prie, de faire partir une syllabe du creux de l’estomac, de l’étouffer à son passage dans le gosier, puis de la pousser avec violence dans le nez, et là, en dépit des répugnances et des lois de la force centrifuge, de l’avaler de nouveau, en lui donnant un coup de mort dans la gorge, où elle doit expirer ».

    La langue esquimaude ne fut sans doute approfondie par personne autant que par le Père, Turquetil, à Chesterfield Inlet. Il fait remarquer que tout se réduit à des racines, des sons, des syllabes qui représentent les idées fondamentales. Ce fond saisi, — ce qui serait l’affaire de six mois, sous la direction d’un professeur — la langue serait connue. Aucune exception dans les règles, et logique parfaite de la syntaxe. Ces mots-racines, dit encore le Père Turquetil, sont bien plus des signes naturels que des signes arbitraires ; et nos langues européennes sembleraient très insignifiantes, pauvres et disparates dans leurs propres éléments, comparées avec l’esquimaude. Contrairement aux langues dénées, qui ne représentent jamais que l’idée concrète, la langue esquimaude est entièrement abstraite dans ses formes et son expression.

  1. Le Père Petitot alla trois fois (1865-1867), jusqu’à l’embouchure du fleuve Anderson (Baie de Liverpool), au 68-30 degré de latitude, chez les Esquimaux Tchiglit. Le résultat de ces trois voyages fut le baptême d’un mourant : « Je suis parti le cœur brisé, dit-il, de n’avoir pu faire autre chose pour la conversion de ce peuple que de semer quelques enseignements touchant l’existence de Dieu, la sainte Trinité, la Rédemption, l’immortalité de l’âme, la vie éternelle. Mais toutes ces vérités ont été accueillies par des éclats de rire, et le nom du Créateur semble pour eux ce qu’est le petit Poucet ou Barbe-Bleue pour les enfants de nos pays. Que Dieu veuille bien donner sa grâce à ce pauvre peuple de voleurs, de cyniques et d’écumeurs de mer, mais qui ferait d’excellents chrétiens, si la foi s’implantait dans leur cœur si ferme et si mâle ».