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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/169

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LA PHYSIQUE D’ARISTOTE


d’Aristote, une étendue extrême ; elle n’a nullement l’étroitesse qu’elle a prise dans la Physique moderne, où elle désigne seulement le mouvement par lequel un corps est transporté d’un lieu dans un autre, le mouvement local.

Selon la Physique d’Aristote, il y a autant d’espèces de mouvements qu’il y a de catégories de l’être[1]. En tout changement substantiel, une corruption détruit une forme pour laisser la matière première privée de cette forme, tandis qu’une seconde forme est engendrée en cette matière qui, auparavant, en était privée ; cette corruption, passage de la forme à la privation, cette génération, passage de la privation à la forme, sont les deux sens opposés d’une même espèce de mouvement. Au changement de grandeur, correspond le mouvement de dilatation ou de contraction. Au changement d’une qualité en une autre, au changement d’intensité dans une même qualité, correspond le mouvement d’altération. Au changement de lieu correspond le mouvement local.

C’est du mouvement, conçu avec cette ampleur, que traitera la science des choses sensibles, la Physique.

Toutefois, si la Physique doit connaître de trois espèces de mouvements autres que le mouvement local, s’il lui faut traiter du mouvement de génération et de corruption, du mouvement de dilatation et de contraction, du mouvement d’altération, elle ne manquera pas de reconnaître que, sur tous ces mouvements, le mouvement local a la priorité et la primauté[2].

Et d’abord, il est certain que ce mouvement est le seul qui puisse être perpétuel et qui puisse affecter des êtres éternels.

Incapables de naître, de changer, de périr, ces êtres ne sauraient se mouvoir par génération, dilatation ou contraction, altération ni corruption. S’ils ont une matière, cette matière ne peut être capable que du changement de lieu. En ces êtres, donc, on ne saurait trouver aucun mouvement qui ne fût mouvement local.

Aucun mouvement autre que le mouvement local, ne saurait, non plus, être perpétuel. Tout mouvement non local, en effet, consiste dans la mise en acte de quelque forme que la matière contenait seulement en puissance ; lorsque cette forme a acquis, dans sa plénitude, l’existence actuelle, le mouvement prend fin. Un mouvement qui se continue indéfiniment serait donc contradictoire en

  1. Aristote, Physique, livre III, ch. I (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 273 ; éd. Bekker, vol. I, p. 201, col. a). — Aristote, Métaphysique, livre X, ch. IX (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 594 ; éd. Bekker, vol. II, p. 1065, col. b).
  2. Aristote, Physique, livre VIII, ch. VII [X et XI] (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 356-357 ; éd. Bekker, vol., p. 261, col. a et b).