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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/197

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LA PHYSIQUE D’ARISTOTE

IX
L’ESPACE ET LE VIDE

Nous avons décrit, par une esquisse rapide, la doctrine d’Aristote touchant la substance incorruptible dont les cieux sont formés ; voyons maintenant ce que la Physique péripatéticienne enseigne au sujet des substances soumises à la génération, au changement et à la corruption.

Toute la doctrine d’Aristote au sujet de ces substances est dominée par sa théorie du grave et du léger ; l’idée essentielle de cette théorie est celle de lieu naturel ; cette idée suppose que l’on ait conçu du lieu une notion sans aucune analogie avec le ϰενόν des atomistes ou la χώρα de Platon.

Leucippe, Démocrite, Platon avaient également, et à un très haut degré, subi l’influence des Pythagoriciens ; comme toute l’École pythagoricienne, iis étaient, avant tout, géomètres, et toute leur philosophie était imprégnée de Géométrie ; les théories qu’ils ont développées au sujet de l’espace sont œuvres de géomètres qui projettent dans la réalité les idées sur lesquelles ils ont accoutumé de raisonner.

Aristote n’est aucunement géomètre ; il est surtout observateur ; ce qu’il regarde comme réel c’est, d’abord, ce que l’observation lui révèle ; ce caractère essentiel de toute la Philosophie péripatéticienne se marque avec une parfaite netteté dans la théorie du lieu et du mouvement que le Stagirite va nous proposer ; on peut donc s’attendre à ce que cette théorie diffère extrêmement de celle de Platon.

Aristote rejette l’identification qu’admettait Platon entre le lieu et la position occupée dans l’espace géométrique.

Le lieu a un certain pouvoir pour diriger le mouvement des corps simples[1] ; chaque corps simple, pourvu qu’il n’en soit pas empêché, se meut dans une direction bien déterminée, soit vers le haut, soit vers le bas ; ces mouvements des corps simples vers leurs lieux naturels « ne montrent pas seulement que le lieu est quelque chose [de réel], mais encore qu’il possède une certaine puissance, ἐχει τινὰ δύναμιν ». C’est, d’ailleurs, ce que

  1. Aristote, Physique, livre IV, ch. I (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. II, p. 285 ; éd. Bekker, vol. I, p. 208, col. b).