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Page:Dujardin - À la gloire d’Antonia.djvu/7

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— « Aussi les lumières sont moindres ; les bougies dans les candélabres s’effacent ; semble que les fleurs et les feuillages soient apâlis.

— « Aux fins de nos soirées, tel se fait un silence, et une ombre ; non les croissantes folies ; mais en la nuit plus tardive, des recueillements, et dans les salles, des ombres et des silences.

— « Le murmure des bruits et des lumières se fait plus doux autour de nous.

— « J’aime cette mélodie ; j’aime ces musiques qui sont un caché bruissement et qui plaisent et que l’on n’écoute pas ; mon ami, nul autre peuple ne sait l’art des musiques, seul le peuple dont bercent les musiques la causerie et somnolence ; la musique est une qui accompagne.

— « Yeux clos, oreilles closes, ne rien voir ni ouïr, et je ne vois ni n’ouïs rien ordinairement ; ma demoiselle, vous êtes au près de moi, et vous êtes assise, doucement fixe ; je sens l’ondoiement immobile de vos robes, et que vous êtes là ; je me rappelle des jours de songe ; des jours d’attente furent, oh créature, et voilà que vous êtes, oh mon songe ; je me réveille ensemble ; je suis moi ; et tout ce qui est moi, pensées, désirs, regards, l’univers, par l’attirance invincible de vous vers vous roule ; et vous êtes lumineusement belle en l’inconnue beauté ; surgie en ma cité, à qui je parle, oyez, à qui je parle, que bas et que doux je vous parle, et que sereinement. »

… Donc nous sommes, qui disons des mots, les deux, les immobiles, les absolument amoureux…

— « Vos jours vont gaiment, mon amie.

— « En des solitudes qui ne sont point tristes.

— « À l’écart des communes choses vous vivez.

— « Ainsi que dans une attente, à l’écart des autres choses,

— « Je vous envie les promenades longues, solitaires, la conscience des solitudes.

— « Ainsi irons-nous les deux, ainsi irons-nous, mon ami.

— « Près la ville sont des lacs et des avenues.

— « Gaies, gaies aux marches lentes, des avenues ombragées qui serpentent longuement.

— « Et des ombres.

— « Des silences longs. »

… Nous nous taisons ; dans le lointain la voix d’un piano chante ; nous demeurons, l’un près l’autre, immobiles, les deux.