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Page:Dujardin - De Stéphane Mallarmé au prophète Ezéchiel, 1919.djvu/35

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Voici comment, en 1913, il s’en expliquait dans une interview recueillie par Émile Henriot.

Nous opposons « l’expression immédiate » à « l’expression discursive », dont toutes les écoles du passé se sont servies. Est discursive toute forme littéraire qui discourt sur la réalité, c’est-à-dire qui nous offre un enchaînement d’idées rationnel et logique à propos de la réalité, qui présente une vue de l’esprit sur la réalité. Est immédiate toute forme littéraire qui s’efforce d’exprimer la réalité sans intermédiaire logique, que cette réalité soit psychologique ou extérieure. Je crains d’effrayer par trop d’abstractions, et je prends des exemples. Racine est discursif. Phèdre nous expose, en somme, la conception qu’elle se fait de sa passion, le point de vue sous lequel elle l’envisage. Ce n’est pas sa passion, ce n’est pas son âme qui se révèle à nous par un cri direct, par une prise de conscience immédiate. Certes, comme Racine est un grand poète, cet exposé discursif ne nous arrive pas tout sèchement. Il est en quelque sorte mouillé de sensibilité, oint d’harmonie. Mais entre ce qu’éprouve Phèdre et ce qu’elle énonce, il y a la différence qui sépare le réel d’une interprétation abstraite du réel. Hugo est discursif, soit qu’il développe sa vision de l’histoire, soit qu’il orchestre les idées philosophiques et sociales de son temps. Les Symbolistes sont discursifs, mais d’une façon qui leur est propre. Ils sont, pour mieux dire, indirects. Ils traduisent la réalité non par un discours plus ou moins orné, mais par des fictions imaginatives, par des emblèmes. L’allégorie, quoi qu’ils en aient, est leur tour original.

La poésie, la littérature unanimiste, au contraire, veut être un jaillissement spontané du réel et de l’âme. Entre la vie et nous, nous refusons d’interposer l’écran de la raison abstraite. Et nous n’essayons pas davantage de nous dérober par le symbole[1].


« L’art sera direct », dit dans la même série M. Georges Duhamel.

Et M. Pierre-Jean Jouve :

Tout art procède d’une intuition plus ou moins profonde et dont l’émotion s’inscrit de certaine manière ; les œuvres que voici veulent réaliser une pénétration directe ; c’est-à-dire qu’un souci d’économie — bien accordé aux nécessités de l’existence moderne — les détermine à

  1. Émile Henriot : À quoi rêvent les jeunes gens, 33.