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Page:Dujardin - De Stéphane Mallarmé au prophète Ezéchiel, 1919.djvu/68

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Le grand poète qu’est Paul Fort a-t-il voulu se faire lire deux fois ? Car pour lire une strophe de Paul Fort, il est indispensable de la lire une première fois, afin de reconstituer les vers ; on la relit ensuite pour en jouir.

Le délit, là-dedans, c’est d’avoir dissimulé l’unité qu’est le vers.

On commet la même erreur quand on traduit certains poète étrangers sans distinguer typographiquement les vers l’un de l’autre : si le vers est vraiment un jaillissement, il doit garder extérieurement ce caractère dans la traduction.

Pourquoi « extérieurement », me dira-t-on, si la chose existe intérieurement ?

Pourquoi ? Parce que ma faiblesse intellectuelle a besoin de ce secours… Et je ne suis pas le seul.

Dans le vers libre, j’ai mis l’accent sur l’unité correspondant au jaillissement. Quant à la rime, rappelons-nous Verlaine :

Qui nous dira les torts de la rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce jouet d’un sou
Qui sonne faux et creux sous la lime ?

Et pourtant, quelle joie, la rime ! Et, me direz-vous, qui l’a plus aimée que l’auteur d’Antonia ?

La rime, comme la langue selon Esope, est à la fois la bénédiction et la malédiction de la poésie française.

Il y a deux sortes de poètes, ceux qui ont le don de la rime et ceux qui ne l’ont pas.

Pour ceux qui l’ont, La Fontaine, Hugo, Baudelaire, ah ! la bonne fée !

Mais pour ceux qui ne l’ont pas, Racine, Musset, quelle peste ! Que n’ai-je le temps de vous montrer quelques-unes des horreurs que la rime, la rime seule a fait commettre à Racine, à Musset !

On se passe très bien de la rime, jeunes gens ; vous le savez d’ailleurs aussi bien que moi. Mais, si vous aimez la rime, — et si la rime vous aime, n’hésitez pas, rimez !

Quelques-uns de vous vont me dire qu’il n’est question dans tout