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Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/57

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Elle a sa robe de satin noir. Nous nous asseyons sur le divan, elle à gauche ; elle s’est renversée sur les coussins, elle me regarde ; elle est aimable ce soir.

— « Eh bien » me demande-t-elle « que me direz-vous ? »

Je n’ai rien à lui dire ; si ; pourquoi m’a-t-elle écrit que je n’aille pas au théâtre.

— « C’est bien dommage que je n’aie pu vous chercher au théâtre. »

— « Il n’y avait pas moyen ; après la pièce je devais parler au directeur, et des fois on le voit tout de suite, d’autres on l’attend toute la soirée ; il ne se gêne pas pour venir à des neuf, dix heures. »

N’insistons pas ; certainement elle invente cette histoire.

— « Vous avez attendu longtemps aujourd’hui ? »

— « Assez longtemps ; je ne suis rentrée que depuis dix minutes ; à ma sortie de scène j’ai été à la direction ; il y avait Blanche Fannie ; elle voulait voir le directeur avant d’aller s’habiller ; vous savez qu’elle ne paraît qu’au second acte ; ce que nous nous sommes ennuyées dans ce trou ! il y a juste la place de deux chaises ; Blanche à elle seule emplissait toute la place ; c’est effrayant combien elle est grosse. »

— « Je ne comprends pas qu’on lui fasse encore jouer des travestis ; elle n’est plus jeune. »

— « Elle n’est pas vieille ; quel âge croyez-vous qu’elle ait ? »

— « Hou… »

— « Il ne faut pas croire qu’elle soit bien vieille ; voyons ; combien a-t-elle ? quarante ans ? »

Qu’elle est drôle, Léa, de ses vingt ans, de ses airs enfantinement sérieux de petite demoiselle coquette !

— « Nous allons, « lui dis-je » faire une promenade, n’est-ce pas ? »