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Page:Dulac - La Houille rouge.pdf/197

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massacreurs se ruait hors de l’ambulance. Elle s’accroupit, et, retenant son souffle, attendit.

L’obscurité, complice des pires et des meilleures choses, atténuait la blancheur de ce qui restait de clair dans son costume. Le tablier sanglant des inévitables contacts avec les blessures, se raidissait par larges plaques brunes, et sa jupe accrochée de ci et tiraillée de là, pendait en loque sur un de ses talons. Ses pieds avaient des souillures innommables faites de boue, de pus et d’iode éclaboussés ; enfin la tension de son angoisse, était à ce point extrême, qu’elle resta plus d’une heure repliée sur elle-même, sans se rendre compte qu’elle gisait sur du fumier, entourée d’un ruisseau de purin. Trois fois des silhouettes d’Allemands franchirent la petite grille ; trois fois ils fouillèrent les allées du jardinet, menèrent grand tapage dans la maison contiguë, et passèrent près d’elle sans la remarquer.

Neuf heures sonnèrent à une horloge, dont l’impassibilité argentine lui sembla terrible comme le destin. Ce fut dès lors des glapissements, des pleurs, des vagissements qui parvinrent jusqu’à elle. Le métal ne résonnait plus sur l’ensemble. Des pas menus, des pas traînants, des pas précipités grouillaient dans le voisinage ; et — par dessus ce piétinement de troupeau, — des ordres et des menaces dominaient. Elle eut l’impression que cela se massait devant l’hôpital d’où montaient encore des plaintes de blessés, des appels à la pitié. Puis une sorte de