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Page:Dulac - La Houille rouge.pdf/208

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essayé en vain de la faire enfermer. Elle a mené si grand tapage qu’on s’est résolu à la laisser libre. Parfois, elle se frappe la poitrine et s’accuse comme d’un crime d’avoir brûlé « de la Houille Rouge », et quand un officier boche la rencontre, elle trace un sept, dans l’espace, en répétant « Tétra ». Ce qui est étonnant, c’est que, lorsqu’elle dit ce mot, les Allemands baissent le nez.

Quelques jours plus tard, la doctoresse se rendait au chevet d’une malade quand elle entendit derrière elle un pas dont la chaussure rendait un son inégal. C’était la folle dont le pied droit traînait une savate, et dont le pied gauche relevait un sabot de valet d’écurie. Mais elle marchait droit devant elle, le buste agressif et la tête haute.

D’abord, Jeanne Deckes ne vit que l’ensemble, à la fois artistique et poignant de cette silhouette tragique ; puis elle examina les traits de la passante. Elle dut faire un effort pour retenir une exclamation.

Malgré la crasse de ce visage décharné, elle avait reconnu la sage-femme complaisante de jadis.

— Madame Rhœa ?… Rhœa ?… dit la doctoresse à voix basse.

La folle s’arrêta.

— Qui m’appelle Rhœa ? Rhœa était la mère des Titans ; c’est elle qui sauva Jupiter, car Neptune dévorait ses enfants. Et moi, je ne mérite pas ce nom. C’est moi qui mange les enfants ; je n’ai sauvé que les petits Lartineau.