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Page:Dulac - La Houille rouge.pdf/210

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pluie ; d’autres préservés par miracle montraient encore quelque fraîcheur.

Rhœa fit signe à Jeanne Deckes de l’accompagner, et passa dans une autre pièce. Là, dans le désordre des placards — brisés par les projectiles — gisaient des membres de poupées séparément groupés. Dans un coin rien que des têtes ; plus loin, des tas de bras, et plus loin encore, des troncs rosés. Une boîte d’yeux s’était renversée dans une petite mare, et ces regards, éparpillés sous l’eau trouble, semblaient guetter un sourire. Quand elle eut fait visiter à la doctoresse ce qu’elle appelait ses « Limbes », Rhœa se baissa, ramassa au hasard des poupées, des têtes et des bras, en emplit son jupon, et se dirigea vers la sortie. Comme elle semblait se désintéresser désormais de Jeanne Deckes, celle-ci lui demanda :

— Où allez vous porter ces choses ?

— Chut ! ceci est mon secret !

Et sans plus de façons, elle laissa là son ancienne cliente pour s’enfoncer dans la campagne où l’attirait une cachette lointaine.

Le soir de ce même jour, le canon gronda comme un fauve qui s’éveille ; et, — vers l’aurore, — l’activité de l’artillerie fut tellement intense que l’espoir et la terreur se partagèrent l’âme des habitants d’Ostel. Dans la rue principale, les troupes allemandes s’agitaient avec une ardeur incroyable. Il passa des auto-mitrailleuses avec un bruit de tonnerre ; des troupes de renfort furent amenées au pas