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Page:Dulac - La Houille rouge.pdf/235

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Le blessé posa ses yeux las sur la tête blonde de l’enfant, et prit sa menotte gantée. Serge, le gamin de quinze ans, s’était glissé de l’autre côté du lit et s’emparait de l’autre main du mourant, tandis que Sylvia penchait vers ses lèvres les joues fraîches de la petite Yette à peine âgée de dix huit mois.

— J’avais si peur de ne pas vous revoir, dit-il.

Des larmes coulaient sur son pauvre visage émacié par la souffrance et des émotions terribles.

— D’où viens-tu Papa ? Qui t’a blessé ? tu l’as tué j’espère celui-là ? questionnait Emmeline.

— Ai-je tué celui qui m’a terrassé ? Je l’ignore. Mais un jour on racontera peut-être la page admirable que le 9e corps a écrite avec son sang à Ypres. J’ai tracé mon petit mot sur cette page, voilà tout. Mon petit Serge… il va falloir que tu prennes ma place : — non pas encore au Front, — mais au foyer. Veille sur ta mère et sur tes sœurs…

— Mais papa… c’est au moins un jour de grande victoire qu’ils t’ont fait mal, les méchants, fit Emmeline.

— Oui, et non. Nous les avons arrêtés, c’est déjà quelque chose, mais… on les aura… on les aura.

— Parfaitement, on les aura ! répéta Serge impératif.

On les aura !… scie populaire qu’il nous faudra graver plus tard sur les monuments de nos morts, parce qu’elle a illuminé de sublimes agonies.

Ce que fut cette journée pour Sylvia Maingaud