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ASCANIO

les, ses prières assurément, car il parlait si bas qu’il n’y avait que lui et Dieu qui pouvaient savoir ce qu’il disait ; mais cependant, comme l’office tirait à sa fin. il releva la tête, et ses plus proches voisins purent entendre ces mots prononcés à demi-voix :

— Que ces moines français psalmodient abominablement ! ne pourraient-ils mieux chanter devant Elle, qui doit être habituée à entendre chanter les anges ? Ah ! ce n’est point malheureux ! voici les vêpres achevées. Mon Dieu ! mon Dieu ! faites qu’aujourd’hui je sois plus heureux que dimanche dernier, et qu’elle lève au moins les yeux sur moi !

Cette dernière prière n’est véritablement point maladroite, car si celle à qui elle est adressée lève les yeux sur celui qui la lui adresse, elle apercevra la plus adorable tête d’adolescent qu’elle ait jamais rêvée en lisant ces belles fables mythologiques si fort à la mode à cette époque, grâce aux belles poésies de maître Clément Marot, et dans lesquelles sont racontées les amours de Psyché et la mort de Narcisse. En effet, et comme nous l’avons dit, sous son costume simple et de couleur sombre, le jeune homme que nous venons de mettre en scène est d’une beauté remarquable et d’une élégance suprême : il a en outre dans le sourire une douceur et une grâce infinies, et son regard, qui n’ose pas encore être hardi, est du moins le plus passionné que puissent lancer deux grands yeux de dix-huit ans.

Cependant au bruit des chaises qui annonce la fin de l’office, notre amoureux (car aux quelques paroles qu’il a prononcées, le lecteur a pu reconnaître qu’il avait droit à ce titre notre amoureux, dis-je, se retira un peu à l’écart et regarda passer la foule qui s’écoulait en silence et qui se composait de graves marguilliers, de respectables matrones de-