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ASCANIO.

Cependant, comme malgré la crainte de la jeune fille il lui fallait obéir, attendu qu’elle connaissait le caractère impatient de son père, elle rappela tout son courage et rentra dans la chambre qu’elle venait de quitter, le sourire sur les lèvres ; car, malgré cette crainte qu’elle éprouvait pour la première fois et dont elle ne se rendait pas compte, elle aimait messire d’Estourville d’un amour véritablement filial, et, malgré le peu d’expansivité du prévôt vis-à-vis d’elle, les jours où il visitait l’hôtel de Nesle étaient, parmi ces jours tristes et uniformes, marqués comme des jours de fête.

Colombe s’avançait, tendant les bras, entr’ouvrant la bouche, mais le prévôt ne lui donna le temps ni de l’embrasser, ni de parler. Seulement, la prenant par la main et l’amenant devant l’étranger, qui se tenait appuyé contre la grande cheminée remplie de fleurs :

— Cher ami, lui dit-il, je te présente ma fille. Puis, adressant la parole à sa fille : — Colombe, ajouta-t-il, voilà le comte d’Orbec, trésorier du roi, et votre futur époux. Colombe jeta un faible cri, qu’étouffa aussitôt le sentiment des convenances ; mais, sentant ses genoux faiblir, elle s’appuya au dossier d’une chaise. En effet, pour comprendre, surtout dans la disposition d’esprit où se trouvait Colombe, tout ce qu’avait de terrible cette présentation inattendue, il faudrait savoir ce qu’était le comte d’Orbec.

Certes, messire Robert d’Estourville, le père de Colombe, n’était pas beau ; il y avait dans ses épais sourcils, qu’il fronçait au moindre obstacle physique ou moral qu’il rencontrait, un air de dureté, et dans toute sa personne trapue quelque chose de lourd et de gauche qui prévenait