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ASCANIO.

les eût pas faits ; il y avait une demi-lieue, il se mit en route.

Rien ne familiarise avec le danger comme le temps ou la distance qui nous en sépare. Pour toutes les âmes fortes ou pour toutes les organisations heureuses, la réflexion est un puissant auxiliaire. C’était à cette dernière classe qu’appartenait Ascanio. Il n’était pas encore d’habitude à cette époque de faire le dégoûté de la vie avant que d’y être entré. Toutes les sensations étaient franches et se traduisaient franchement, la joie par le rire, la douleur par les larmes. La manière était chose à peu près inconnue dans la vie comme dans l’art, et un jeune et joli garçon de vingt ans n’était pas le moins du monde humilié à cette époque d’avouer qu’il était heureux.

Or, dans tout ce trouble d’Ascanio, il y avait un certain bonheur. Il n’avait compté revoir Colombe que le dimanche suivant, et il allait la revoir le jour même. C’étaient six jours de gagnés, et six jours d’attente, ou le sait, sont six siècles au compte des amoureux.

Aussi, à mesure qu’il s’approchait, la chose paraissait plus simple à ses yeux : c’était lui, il est vrai, qui avait donné le conseil à Benvenuto de demander au roi le séjour de Nesle pour en faire son atelier, mais Colombe pouvait-elle lui en vouloir d’avoir cherché à se rapprocher d’elle ? Cette impatronisation de l’orfèvre florentin dans le vieux palais d’Amaury ne pouvait se faire, il est vrai, qu’au détriment du père de Colombe, qui le regardait comme à lui, mais ce dommage était-il réel, puisque messire Robert d’Estourville ne l’habitait pas ? D’ailleurs, Benvenuto avait mille moyens de payer son loyer : — une coupe donnée au prévôt, un collier donné à sa fille ( et Ascanio se chargeait