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C’est pour épurer l’air que gronde la tempête,
Et quelque homme, toujours magnifique et puissant,
Naît sur un sol fumé par un engrais de sang.
Continuez, monsieur ; mais changeons la nature
De l’entretien. — Que fait votre littérature ?

STEINBERG.

Les comédiens du roi donnaient le mois dernier

(Cherchant.)

Un drame de Corneille, — ou je crois de Garnier :
Non, c’était de Corneille.

CHRISTINE.

Non, c’était de Corneille. Et son titre est… ?

STEINBERG.

Non, c’était de Corneille. Et son titre est… ? Horace.

CHRISTINE.

Qu’en dit-on ?

STEINBERG, avec conviction.

Qu’en dit-on ? Que l’auteur n’a pas suivi la trace
Des grands maîtres, — qu’il est et trivial et bas ;
Que ce n’est point ainsi que parlent Dubartas,
Desmarets, Saint-Sorlin, Bois-Robert et Jodelle,
Qui du suprême goût ont offert le modèle.

CHRISTINE.

Et qui donc dit cela ?

STEINBERG.

Et qui donc dit cela ? L’Académie.

CHRISTINE.

Et qui donc dit cela ? L’Académie. Encor !

STEINBERG.

Oui, Votre Majesté, ses membres sont d’accord
Que c’est un novateur dont le culte idolâtre
Sacrifie à Baal et perd le beau théâtre ;
Qu’eux seuls sont du bon goût arbitres signalés,
Et que Cid et qu’Horace à bon droit sont sifflés.

CHRISTINE.

Au bruit de ces sifflets d’une troupe ennemie,
Que fait Paris ?

STEINBERG.

Que fait Paris ? Paris siffle l’Académie.

CHRISTINE.

Oh ! lorsqu’il est écrit sur le livre du sort
Qu’un homme vient de naître au front large, au cœur fort,
Et que Dieu sur son front, qu’il a pris pour victime,
A mis du bout du doigt une flamme sublime,
Au-dessous de ces mots la même main écrit :
Tu seras malheureux, si tu n’es pas proscrit !
Car à ses premiers pas sur la terre où nous sommes,
Son regard dédaigneux prend en mépris les hommes ;
Comme il est plus grand qu’eux, il voit avec ennui
Qu’il faut vers eux descendre, ou les hausser vers lui.
Alors dans son sentier profond et solitaire,
Passant, sans se mêler aux enfants de la terre,
Il dit aux vents, aux flots, aux étoiles, aux bois,
Les chants de sa grande âme avec sa forte voix ;
La foule entend ses chants, elle crie au délire,
Et, ne comprenant pas, elle se prend à rire.
Puis à pas de géant sur un pic élevé,
Après avoir marché fortement, arrivé,
Reconnaissant sa sphère en ces zones nouvelles,
Et sentant assez d’air pour ses puissantes ailes,
Il part majestueux, et qui le voit d’en bas,
Qui tente de le suivre, et qui ne le peut pas,
Le sentant échapper à son regard qu’il lève,
Pense qu’il diminue à cause qu’il s’élève !
Croit qu’il doit s’arrêter où le perd son adieu,
Cherche dans la nuée… il est aux pieds de Dieu.
Notre terre du Nord est une rude mère,
Steinberg, et nous n’avons point encore eu d’Homère,
De Virgile. — Pour nous, à peine l’alphabet
De science est ouvert. — Ma sœur Élisabeth
Fut plus grande que moi ; non pas que je la craigne !
Mais elle avait Shakspear pour élargir son règne ;
Les heureux Médicis ont eu Machiavel,
Corneille est près de Louis, Milton près de Cromwell.

(Se retournant et apercevant les quatre vieillards, tuteurs du royaume.)

Mais ce que n’ont point France, Italie, Angleterre,
Voyez, Steinberg, ce sont, à la démarche austère,
Ces quatre grands vieillards qui s’avancent vers moi,
Qui me prirent enfant et me laissèrent roi,
À qui le sol du Nord a cédé de sa force,
Et dont le cœur est beau sous cette rude écorce.
Regardez-les, Steinberg ; ne penseriez-vous pas
Voir s’avancer les dieux de nos âpres climats ?
Comme nos vieux cyprès que la tempête assiège,
Les ouragans des cours les ont couverts de neige,
Et sans cesse contre eux déchaînés et soufflants,
Ont fait leur barbe grise et puis leurs cheveux blancs !


Scène II.

Les précédents ; OXENSTIERN, trois autres vieillards.
CHRISTINE.

Viens, Oxenstiern, — mon père, oh ! tu le sais sans doute,
Ta fille allait périr, si le ciel sur sa route
N’eût amené secours, ne frappant qu’à moitié ;
Car, la voyant si jeune, il l’a prise en pitié.

OXENSTIERN.

Oui, ma fille, je sais, et nous venons encore
Te dire par nos voix que la Snède t’implore,
Car en tes vieux tuteurs elle voit ses soutiens,
Et tombe à nos genoux comme je tombe aux tiens.

CHRISTINE.

Mon père, que fais-tu ! relève-toi…

OXENSTIERN.

Mon père, que fais-tu ! relève-toi… Ma fille !
Au nom de tes aïeux, de rois vieille famille,
Au nom du grand Gustave, en notre nom à nous,
Ma fille, auprès de toi fais asseoir un époux ;
Car s’il nous advenait, ce qu’au Seigneur ne plaise,
Que nous te perdissions, combien en serait aise
Chaque autre nation qui jalouse nos vœux !
Et nous, qui sait combien nous serions malheureux !
Mais si de ton hymen un rejeton illustre
De ton règne après toi continuait le lustre,
Nous aurions, accusant le destin de rigueur,
Des larmes dans les yeux, mais de l’espoir au cœur ;
Que si du trône ainsi renforçant l’équilibre,
Tu consens à nos vœux, nous te laisserons libre