Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/123

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Vu, découvert à nu le cœur d’un favori,
Quand, pendant un long jour, à tout il a souri !
mon Dieu ! — Qu’est-ce donc que le bras qui nous pousse,
Quand notre vie aurait pu passer libre et douce,
Marcher dans cet enfer, où les démons riants
Nous suivent pas à pas de leurs yeux flamboyants ;
Monter aux flancs roidis d’une montagne aride,
Sans que rien en chemin nous soutienne ou nous guide ;
Ne s’arrêter jamais qu’afin de ramasser
Un cordon qu’on ne peut prendre sans se baisser ;
Sentir trembler sous soi, de sa fortune esclave,
Un sol mouvant, pétri de cendres et de lave ;
Monter, monter encor, toujours, — et n’oser pas
Se retourner jamais pour regarder en bas,
De peur qu’épouvanté des hauteurs où nous sommes,
Nous ne retombions nous briser parmi les hommes.

PAULA.

Ah ! j’ignorais qu’il fût des supplices si grands :
Oui, lu l’avais bien dit — c’est affreux ! je comprends…
Eh bien ! puisque c’est moi qui suis la plus heureuse,
Laisse-moi soutenir ta marche aventureuse.
Pour te faire oublier les affronts essuyés,
Il te faut à ton tour à fouler à tes pieds
Quelqu’un. — Ah ! garde-moi, je serai ta servante ;
Tout ce qu’une amour pure ou délirante invente
De bonheurs, oui, pour toi je les inventerai ;
Quand tu me maudiras, moi je te bénirai ;
J’aurai des mots d’amour qui te guériront l’âme.
Garde-moi, je consens qu’une autre soit ta femme ;
Je promets de l’aimer, d’obéir à sa loi.

(Se jetant à son cou.)

Mais, par le Dieu vivant, garde-moi, — garde-moi !…

MONALDESCHI.

Non, la reine t’a vue et peut te voir encore,
Apprendre d’un seul mot ce qu’il faut qu’elle ignore.
Dans un sombre regard j’ai vu Sentinelli
Fixer sur toi ses yeux de tigre : — j’ai pâli…
Pour que tu restes, — non, — trop de terreur m’assiége.
Si la reine voulait te voir, — que lui dirais-je !

PAULA.

Oh ! n’est-ce que cela ? Partout où tu voudras,
Ne puis-je me cacher, moi ? Veux-tu ? Tu diras
Tout ce que ton esprit inventera, — qu’importe !…
Dis que je suis partie en Italie, — ou morte,
Si c’est mieux. — N’as-tu pas, dis-moi, dans ta maison
Quelque coin, quelque tour, quelque étroite prison ?
Sans issue au dehors, — obscure, — sans fenêtre,
Où jamais un rayon du soleil ne pénètre,
J’y resterai toujours, on ne pourra savoir
Où je suis, — si je vis, — nul ne pourra m’y voir
Que toi ; tu me diras dans ma sombre demeure,
Quand tu seras sorti, si tu veux que je pleure,
Ou non, — toi seul viendras me donner l’eau, le pain,
Et quand tu m’oubliras, j’aurai soif, j’aurai faim !…

MONALDESCHI.

Paula…

PAULA.

Paula… Monaldeschi, vois mes pleurs sur mes joues,
Mes tourments oubliés, ceux auxquels tu me voues ;
Avant ces pleurs déjà tant de pleurs sont passés,
Que je ne suis plus belle aujourd’hui ! je le sais.
Tu m’en veux, — et pourtant c’est ton amour fatale
Qui m’a rendu l’œil sombre et m’a fait le front pâle.

(Se traînant sur ses genoux.)

Mon corps faible en tes bras tant de fois soulevé,
À tes pieds se meurtrit, rampant sur le pavé ;

Veux-tu mon sang ? — mes jours ? — Prends mon sang, — prends mon âme,

Ouvre avec ton poignard ma poitrine de femme,
Que j’y sente mon cœur entre tes mains broyé,
Et je souffrirai moins que je souffre. — Oh ! pitié !!

MONALDESCHI, attendri.

Paula !…

PAULA.

Paula !… Pitié ! mon Dieu !

MONALDESCHI, la relevant.

Paula !… Pitié ! mon Dieu ! Dis-moi. — Voyons. Écoute.
Si tu pouvais rester, je le voudrais, sans doute.

PAULA, se jetant dans ses bras.

Monaldeschi…

(On entend la cloche du temple où prie Christine.)
MONALDESCHI.

Monaldeschi… Qu’entends-je ! — À la reine, voilà…
Dieu, qui parle de moi !

(La repoussant.)

Dieu, qui parle de moi ! Vous partirez, Paula.

(Il sort.)


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