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LA CALPRENÈDE.

De Votre Majesté mon nom serait connu ?

CHRISTINE.

Et dans quel lieu ce nom n’est-il pas parvenu ?
Il n’est pas un écho si lointain qu’il n’éveille.

(À Corneille.)

Et vous, monsieur, comment vous nommez-vous ?

CORNEILLE.

Et vous, monsieur, comment vous nommez-vous ? Corneille.

CHRISTINE, se levant.

Corneille ! —

(À sa suite.)

Corneille ! — Inclinez-vous devant le vieux Romain.

(Allant à lui.)

Me ferez-vous l’honneur de me baiser la main ?
Et quel guerrier, quel roi, sous son souffle magique,
Ranime maintenant votre muse tragique ?
Ils sont bien grands les traits que sa main dessina ;
Que faire après le Cid et l’Horace ?

CORNEILLE, avec modestie.

Que faire après le Cid et l’Horace ? Cinna.

CHRISTINE.

Quel est donc ce sujet ?

CORNEILLE.

Quel est donc ce sujet ? Par un titre plus juste,
Je devrais le nommer la Clémence d’Auguste.

CHRISTINE.

Vous allez par ce choix courir plus d’un hasard ;
Moi, j’ai bien du mépris pour ce premier César ;
Il devint généreux quand Rome fut esclave,
Et dans Auguste encor je reconnais Octave.
Mais n’importe, parmi tous vos fragments divers,
D’un fragment préféré dites-nous quelques vers.

CORNEILLE.

Lasse d’un triple poids, c’est le moment où Rome
Commence à respirer sous le poids d’un seul homme.
Comme de l’univers, de lui-même vainqueur,
Auguste s’interroge et demande à son cœur
S’il doit punir Cinna qui contre lui conspire,
Ou s’il doit à Cinna sacrifier l’empire.

CHRISTINE.

Du trône redescendre au rang de citoyen
Est difficile ; Auguste y demeure et fait bien.

CORNEILLE dit quelques vers du monologue d’Auguste.

Madame, j’ai fini.

CHRISTINE.

Madame, j’ai fini. C’est beau.

MONALDESCHI.

Madame, j’ai fini. C’est beau. C’est admirable !…

CORNEILLE.

Monsieur…

CHRISTINE.

Monsieur… Oh ! laissez-le, c’est un mai incurable.
Il croit toujours devoir, en courtisan adroit,
Suer lorsque j’ai chaud, et trembler quand j’ai froid.

(Regardant sa couronne.)

Mais qu’aperçois-je donc ? je crois, Dieu me pardonne,
Qu’ils ont pour ma toilette apporté ma couronne.

EBBA.

Madame, cette erreur…

CHRISTINE, la prenant.

Madame, cette erreur… C’est elle, la voilà.
Regardez donc, messieurs, connaissez-vous cela ?

CORNEILLE.

À vos regards, madame, ainsi qu’à ceux du sage,
D’or et de diamants ce n’est qu’un assemblage :
Mais en lui des grandeurs l’homme adore le sceau.

CHRISTINE, la rejetant.

C’est un hochet royal trouvé dans mon berceau.

MONALDESCHI.

L’objet que sous ce nom votre dédain désigne,
Du plus profond respect n’en reste pas moins digne,
Et devant ce hochet nous nous humilions.

CHRISTINE.

Je le crois bien, marquis, il vaut deux millions.

(Se levant.)

Pardon, messieurs, le soin de ma correspondance
Me force d’abréger mes heures d’audience.

LA CALPRENÈDE.

Pour Votre Majesté j’ai pourtant mis au net
Certain rondeau léger, certain galant sonnet.

CHRISTINE.

Vous m’enverrez les vers dont le tout se compose
Sur beau papier vélin, avec un ruban rose.

(À Corneille.)

Si vous restiez ici, j’aurais voulu ce soir
Une seconde fois, monsieur, vous recevoir ;
Mais près mon alchimiste il me faudra descendre.
Il m’a de beaucoup d’or déjà fait de la cendre :
Il doit enfin ce soir, quadruplant mon trésor,
De la cendre à son tour me refaire de l’or.
Vous sentez qu’il me faut voir une expérience
Où la nature doit céder à la science.
Mais, loin des importuns dont l’aspect nous gêna,
Venez me voir demain, vous me lirez Cinna.

(À son secrétaire.)

Galdemblad, je renonce à votre ministère ;
Le marquis aujourd’hui sera mon secrétaire,
Conduisez ces messieurs, marquis, et revenez.

(À Galdemblad.)

Ah ! le courrier du jour ?

GALDEMBLAD.

Ah ! le courrier du jour ? Le voici.

CHRISTINE.

Ah ! le courrier du jour ? Le voici. Bien, donnez.
Salut.


Scène V.

CHRISTINE, puis MONALDESCHI.
CHRISTINE, ouvrant le portefeuille.

Salut. Rome, Paris, Berlin, Stockholm et Londre.
Stockholm d’abord. —

(Cherchant la signature.)

Stockholm d’abord. — Terlon. « De tout je puis répondre
Notre complot promet des succès assurés ;
On n’attend plus que vous, et, quand vous le voudrez,
Tout éclatera. » — Bien ! je suis donc à l’aurore
De mon règne nouveau.