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Et j’entends une voix qui me dit : Tu mourras !
C’est la voix du tombeau… constante et douloureuse !
Qu’au cœur du condamné cette voix est affreuse !
Et quand au moindre bruit, moi, je me sens frémir,
Il est des condamnés que l’on a vus dormir…
Dormir ! je vois déjà tout ce peuple barbare,
Avide du spectacle affreux qu’on lui prépare,
Qui vient, de ses apprêts accusant la lenteur,
Au front de la victime épier la pâleur ;
Spectateur coutumier de ces hideuses fêtes,
Jeter son cri de joie à la chute des têtes,
Et, toujours ramené par son attrait puissant,
Chercher sous l’échafaud la volupté du sang !

(Retombant dans son fauteuil.)

Mais non ; — rassurons-nous, car celle qui m’accuse
Comprend trop qu’à ma mort il faudrait une excuse,
Que Charle apprendrait tout !… — Mais un prudent regard
Où manque l’échafaud voit luire te poignard…
Je puis dans cette chambre obscure et retirée
Mourir, et que de tous ma mort soit ignorée.
La nuit, seul en ce lieu, sans défense surpris,
Oh ! qui me secourrait, qui viendrait à mes cris ?

(Il détache de la muraille une cotte de mailles, et la revêt sous son pourpoint.)

Ma mort serait alors plus cruelle et plus sûre…
Je me souviens du mal que fait une blessure !
Dans un duel, un jour, un spadassin adroit
Me frappa de son fer… Son fer entra si froid !…
Et je serais promis à ce supplice horrible !
Je sentirais vingt fois… — Oh ! non, c’est impossible !
Non, Christine ne peut me garder ce trépas ;
D’ailleurs je l’ai prévu.

(Prenant son stylet et frappant sur sa cotte de mailles.)

D’ailleurs je l’ai prévu. Bien, ils n’entreront pas.
Puissé-je retarder ainsi l’heure fatale ! —
Me voilà plus tranquille.

(Regardant dans une glace.)

Me voilà plus tranquille. Oh Dieu ! que je suis pâle !…
C’est qu’il fait froid aussi. — Prompt à se consumer,
Ce feu qui s’est éteint ne peut se rallumer.

(Allant à la fenêtre.)

Le jour est ténébreux, et son soleil d’automne
Épanche sans chaleur sa clarté monotone.
Ce sol, que le printemps vit naguère si beau,
Semble comme un mourant s’approcher du tombeau.
La terre comme nous a son heure mortelle,
Et son linceul de neige est froid aussi pour elle.

(Paula entre sans que Monaldeschi la voie.)

Italie !… Italie ! en tes heureux climats
Toujours le ciel est pur et le sol sans frimats.
Oh ! pourquoi, dans l’espoir d’un brillant esclavage,
Beau fleuve de l’Arno, quittai-je ton rivage ?
Champs paternels, villa qu’habitaient mes aïeux,
Je vous revois encor quand je ferme les yeux ;
Tout est là ; chaque objet me rend sa douce image !
C’est un arbre, une fleur, un buisson, un feuillage.
Sous mes lambris dorés, oui, je vous regrettais !…

(Apercevant Paula.)

Dieu !… — Que faisiez-vous là ?


Scène II.

MONALDESCHI, PAULA.
PAULA.

Dieu !… — Que faisiez-vous là ? Moi ? rien ; — je t’écoutais.

MONALDESCHI.

Oh ! pardonne, Paula, je t’avais oubliée ;
Pourrais-tu me sauver ? À mon destin liée,
Oui, je vois que l’espoir va me venir de toi.
J’avais tout oublié.

PAULA.

J’avais tout oublié. Je me rappelais, moi !…
Tu parlais de l’Arno, de sa rive si belle,
Et dans tes souvenirs, ta mémoire rebelle
Ne se rappelait pas le jour où tu me dis :
Je t’aime, ma Paula ! sois mienne, et je prédis
À ma jeune maîtresse, et bientôt mon épouse,
Un amour qui rendrait une reine jalouse ; —
Et puis tu le juras par la terre et les cieux ;
Moi, je ne jurai rien, mais tu compris mes yeux.
Plus tard, — c’était la nuit, — c’était sous un ciel sombre ;
À mon tour je jurai, te suivant comme une ombre,
Qu’à l’heure de la mort tu me trouverais là :
Lequel a mieux tenu son serment ? — me voilà.

MONALDESCHI.

Quoi ! Paula… sans espoir faudra-t-il que je meure ?…
Qu’ai-je à vivre, du moins ?

PAULA.

Qu’ai-je à vivre, du moins ? Nous avons un quart d’heure.

MONALDESCHI.

Un quart d’heure ! ô mon Dieu !

PAULA.

Un quart d’heure ! ô mon Dieu ! Voyons, reviens à toi !
Du courage, marquis.

MONALDESCHI.

Du courage, marquis. J’en aurais aussi, moi,
Du courage, au milieu d’un combat, quand la poudre,
Quand la voix des canons grondant comme la foudre,
Le bruit du fer heurté, celui des instruments
De guerre, des blessés et des hennissements,
Au milieu des dangers vous pousse et vous enflamme,
Et d’un besoin de mort vous vient enivrer l’âme !…
J’en aurais du courage, à la fin de mes jours,
Si Dieu dans sa clémence eût prolongé leur cours ;
Si ma tête blanchie, en arrière tournée,
Avait soixante fois déjà vu fuir l’année ;
Si je sentais de moi s’éloigner sans retour
Chacun de ces plaisirs qui nous quitte à son tour.
La mort nous trouble moins par degrés rapprochée,
Et l’âme est doucement par sa main détachée ;
Mais sentir dans son sein que le fer veut ouvrir
Une âme ardente à vivre, — et puis falloir mourir !

PAULA.

Sans doute cette mort, notre âme la repousse,
Mais notre mort à nous ne peut-elle être douce ?
Que souvent tu m’as dit, autrefois, je le sais,
Quand alentour de nous les deux bras enlacés,
Isolés sur la terre, en notre amour profonde,
De ce monde oubliés, nous oubliions ce monde ;