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Et, s’il est là, qu’il soit à l’instant introduit.
Allez, et revenez surtout avant une heure ;
Car je veux vous revoir avant que je ne meure…

(Ils sortent.)
CHRISTINE, seule.

Une heure !… une heure encore, et tout s’achèvera !
Vienne donc le moment… mon âme quittera
Ce monde… où devant moi tour à tour j’ai vu naître
Tous ces plaisirs d’un jour que l’homme peut connaître !
Pouvoir, amour, science : et, sans les regretter,
Moi qui les épuisai, je pourrai les quitter ;
Car j’ai trouvé toujours au fond de chaque joie
Quelque chose d’amer qui vers le ciel renvoie…
Pour guider tout un peuple en ses rudes chemins,
Le Seigneur avait mis un flambeau dans mes mains.
Je vis que ce flambeau de sa flamme trop forte
Brûle toujours la main de l’élu qui le porte,
Et j’approchai bientôt, voyant mes vœux déçus,
Le flambeau de ma bouche, et je soufflai dessus !
J’avais une âme jeune et pleine d’espérance ;
Elle appelait l’amour, qu’il fût joie ou souffrance :
Mais l’amour que mon âme exigeait les surprit,
Et mon cœur se ferma sans que nul le comprît.
De la science alors poursuivant le mystère,
Je voulus me mêler aux sages de la terre !
Lever un coin du voile où mes yeux indiscrets
Croyaient du Créateur surprendre les secrets ;
Je vis que dans la nuit où notre esprit se plonge
Tout était vanité, déception, mensonge !
Que sur l’éternité Dieu seul était debout,
Et qu’excepté de lui… l’on doit douter de tout.
Vienne donc le moment, je l’attends sans alarmes.
Mais je le sens, mon Dieu !… mon cœur est plein de larmes,
Car parmi tous mes jours, un jour qui fut affreux
Y laisse un souvenir sanglant et douloureux !
Vous saviez cependant, vous, quel était son crime,
Et si c’était à moi d’épargner la victime !…
D’ailleurs une autre main…


Scène IV.

CHRISTINE, un vieillard à barbe et cheveux blancs, STEINBERG et EBBA.
EBBA.

D’ailleurs une autre main… Mon père, c’est ici.

LE VIEILLARD.

Et celle que je dois consoler ?

STEINBERG, montrant Christine.

Et celle que je dois consoler ? La voici.

LE VIEILLARD.

Quel est son rang… son nom ?

EBBA.

Quel est son rang… son nom ? Tous deux sont un mystère.
Elle voudrait…

LE VIEILLARD.

Elle voudrait… Elle a le droit de me les taire.
Dieu les sait, il suffit. —

(À Christine.)

Dieu les sait, il suffit. — Le ciel soit avec vous !
Ma fille.

CHRISTINE, à Ebba et Steinberg.

Ma fille. Le voilà ; mes enfants, laissez-nous.

(Ils sortent.)

Vous à qui le Seigneur a remis sa parole,
Vous dont la main bénit et dont la voix console,
Saint homme, qui foulez d’un pied tranquille et sûr
Le sentier de la foi, qui pour nous est obscur ;
Qui voyez les pécheurs courbés sur votre voie,
Et qui pouvez d’un mot rendre un cœur à la joie,
Quelque temps près de moi marchez d’un pas plus lent,
Saint homme, qui passez priant et consolant…

LE VIEILLARD.

Ne dites pas cela, femme… Je suis moi-même
Un malheureux marqué du sceau de l’anathème…
Et celui qui m’entend venir avec effroi,
Si condamné qu’il soit, l’est encor moins que moi :
Mais le Seigneur permet que souvent le coupable,
Cachant à tous les yeux le remords qui l’accable,
Donne, tant qu’il lui reste une voix pour bénir,
Un pardon que lui-même il ne peut obtenir…

CHRISTINE.

Est-il donc un forfait que Dieu, dans sa colère,
Exclut de son pardon ?

LE VIEILLARD.

Exclut de son pardon ? Il en est un !

CHRISTINE.

Exclut de son pardon ? Il en est un ! Mon père !…
Il en est un ?…

LE VIEILLARD.

Il en est un ?… Un seul… Mais pourquoi tremblez-vous ?
Votre sexe, ma fille, est consolant et doux.
Seul, nous sommes méchants, nous… Dieu créa la femme
Comme un ange, chargé de veiller sur notre âme !
Il nous donna la force, il lui donna les pleurs,
Pour qu’elle pût porter moitié de nos douleurs ;
Et si nous l’entraînons avec nous dans l’abîme,
Dieu sait faire deux parts, de l’erreur et du crime ;
Car le Seigneur est juste.

CHRISTINE.

Car le Seigneur est juste. Oh ! n’avez-vous pas dit
Qu’il est un crime, un seul, pour lequel Dieu maudit ?

LE VIEILLARD.

Mais, pour un qu’il maudit, combien il en excuse,
Quand un vrai repentir s’humilie et s’accuse !

CHRISTINE.

Que m’importe, à moitié couchée en mon linceul,
Qu’il les pardonne tous, s’il en punit un seul ?

LE VIEILLARD, la regardant.

Il pardonne… l’oubli, la colère… l’injure,
L’adultère… le vol… l’envie… et le parjure !
Voilà les noms de ceux qu’à l’heure du trépas
Il pardonne.

CHRISTINE.

Il pardonne. Et celui qu’il ne pardonne pas !
Son nom ?… que de mon sort un mot enfin décide ;
Vous hésitez… Son nom ?… je le veux.

LE VIEILLARD.

Vous hésitez… Son nom ?… je le veux. L’homicide !

CHRISTINE, tombant à genoux.

Pardon !…