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(Avec effroi.)

Sentinelli !…

SENTINELLI.

Sentinelli !… Christine !…

CHRISTINE, tombant sur la chaise.

Sentinelli !… Christine ! Apportez des flambeaux.
Je me meurs…

(Steinberg et Ebba entrent portant des flambeaux ; Paula paraît au fond.)

Scène V.

Les précédents ; PAULA.
PAULA, du fond.

Je me meurs… Ma mère !…

CHRISTINE, les mains sur ses yeux.

Je me meurs… Ma mère !… Ah ! quelle terreur étrange !

PAULA.

Ma mère !…

CHRISTINE.

Ma mère !… Cette voix… est-ce la voix d’un ange
Qui m’annonce l’instant de l’éternel adieu,
Et qui vient me chercher pour me conduire à Dieu ?
Dois-je me réjouir, ou faut-il que je pleure ?…

PAULA.

Non, ma mère, c’est moi. J’ai pensé qu’à cette heure,
Où tant d’indifférents autour de vous viendront,
Vous chercheriez mes mains pour poser votre front,
Je suis votre Paula…

CHRISTINE.

Je suis votre Paula… Mon enfant !

SENTINELLI, tombant à genoux.

Je suis votre Paula… Mon enfant ! Anathème !

CHRISTINE.

Mon enfant !…

PAULA.

Mon enfant !… J’ignorais qu’à cette heure suprême,
Ma mère… ce saint homme auprès de vous serait.

SENTINELLI, bas à Christine et l’attirant à lui.

Ne dites pas mon nom ; elle me maudirait !…

CHRISTINE.

Oh ! désarmant pour moi la justice éternelle,
Mon Dieu ! daigneras-tu me pardonner comme elle ?

PAULA.

Oh ! prenez cet espoir, il n’est point hasardeux ;
Je prîrai tant pour vous !…

SENTINELLI, en sortant.

Je prîrai tant pour vous !… Femme, priez pour deux !…


Scène VI.

CHRISTINE, PAULA.
CHRISTINE.

Pourquoi Dieu permit-il que dans ta jeune vie
Je vinsse me jeter de tant de maux suivie ?
Vous vous aimiez… heureux… Mais je devais venir…
Je vins… et mon amour brisa votre avenir ;
Tout fut empoisonné désormais sur ta voie.
Comme tu pardonnas à lui… que je te voie
Me pardonner à moi !… Je suis à tes genoux !
Oh ! dis-moi quelques mots consolateurs et doux.

PAULA.

Christine… que si Dieu dans ce moment me donne
Pouvoir de pardonner… oh ! oui ! je te pardonne ;
Et que si deux pouvoirs en moi sont réunis,
Pardonner et bénir… oh ! oui ! je te bénis…
Je pardonne à ma reine, et je bénis ma mère.
Que la mort qui te vient ne te soit point amère !
Qu’un ange me seconde, et descendant des cieux,
De son doigt doucement vienne clore tes yeux,
T’emporte dans ses bras, à la terre ravie,
Et te conduise à Dieu dont le souffle est la vie !

CHRISTINE.

Oh ! du ciel, à ta voix… ma fille, je sens là
Redescendre le calme… Embrasse-moi, Paula !
Mais, avant d’oublier le monde comme un rêve,
Je voudrais voir encor le soleil qui se lève ;
Ouvre, j’ai besoin d’air…

(Paula ouvre toutes les fenêtres ; on voit d’un côté les campagnes de Rome, de l’autre la cour de Rome, qui attend le moment d’entrer avec les messagers suédois.)
CHRISTINE, à Paula.

Ouvre, j’ai besoin d’air… Maintenant, conduis-moi.

(Se soulevant.)

Je voudrais voir le ciel en m’appuyant sur toi ;
Je puis encore aller jusqu’à cette fenêtre.
Oh ! Paula ! qu’il est beau ce jour qui vient de naître !

(Elle tombe sur des coussins.)

Au mourant qu’il est beau ce ciel brillant et pur,
Lorsqu’il devine Dieu par delà son azur !

PAULA.

Ma mère !…

CHRISTINE, affaiblie.

Ma mère !… Oh ! si la mort, sans douleur, sans secousse,
Pouvait venir ainsi, qu’elle me serait douce !…
Paula !… Monaldeschi !… Sentinelli !… mon Dieu !
La couronne… Stockholm… J’ai froid… ma fille… adieu !
Oh ! pourquoi donc ta main est-elle si glacée ?…
Où donc es-tu, Paula ?… Seule tu m’as laissée…
Mourir seule… Je meurs !… embrasse-moi, Paula.
Adieu !

PAULA.

Adieu ! Ma mère !

CHRISTINE.

Adieu ! Ma mère ! Adieu !…

PAULA.

Adieu ! Ma mère ! Adieu !… Seigneur, recevez-la !

CHRISTINE.

Peut-être…

(Elle meurt.)
PAULA, se relevant.

Peut-être… Et maintenant à tous ouvrez la porte.

(Les trois messagers suédois entrent avec la cour de Rome. Oxenstiern met à Christine la couronne sur la tête et le sceptre dans sa main ; de Brahé jette sur elle le manteau royal, et un huissier crie au peuple : )

Christine-Alessandra, reine de Suède, est morte !