Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/348

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RICHARD.

C’est la règle ; du moins ce fléau-là a cela de bon qu’il est tout le contraire de la peste et de la royauté : il tombe sur les gentilshommes et épargne les manants. Cela console de la taxe et de la corvée. Merci, tavernier ; c’est tout ce qu’on voulait de toi, à moins qu’en ta qualité d’Italien et de sorcier, tu ne veuilles nous dire quel est le vampire qui a besoin de tant de sang jeune et chaud pour empêcher le sien de vieillir et de se figer ?

ORSINI.

Je n’en sais rien.

SIMON.

Et pourquoi c’est toujours au-dessous de la tour de Nesle et jamais au-dessus qu’on retrouve les noyés ?

ORSINI.

Je n’en sais rien.

PHILIPPE, appelant Orsini.

Maître…

SIMON.

Tu n’en sais rien ? Eh bien ! laisse-nous tranquilles et réponds à ce jeune seigneur qui te fait l’honneur de t’appeler.

PHILIPPE.

Maître…

ORSINI.

Messire ?

PHILIPPE.

Un de tes garçons taverniers peut-il, moyennant ces deux sous parisis, porter ce billet ?

ORSINI.

Landry… Landry !

LANDRY, s’avançant.

(il se tient debout devant Philippe, tandis que celui-ci scelle
xxxxxsa lettre et met l’adresse.)

ORSINI.

Fais ce que te dira ce jeune seigneur.

(Il s’éloigne.)
RICHARD, retenant Orsini par le bras.

C’est égal, maître ; si je m’appelais Orsini, ce dont Dieu me garde ; si j’étais maître de cette taverne, ce que Dieu veuille, et si mes fenêtres donnaient comme les tiennes sur cette vieille tour de Nesle, que Dieu foudroie, je voudrais passer une de mes nuits, une seule, à regarder et à écouter, et je te garantis que le lendemain je saurais que répondre à ceux qui me demanderaient des nouvelles.

ORSINI.

Ce n’est pas mon état. Voulez-vous du vin ? je suis tavernier et non veilleur de nuit.

RICHARD.

Va-t’en au diable !

ORSINI.

Lâchez-moi alors.

RICHARD.

C’est juste.

(Orsini sort.)
PHILIPPE, après avoir scellé sa lettre.

Écoute, gars : prends ces deux sous parisis et va-t’en au Louvre : tu demanderas le capitaine Gaultier d’Aulnay, et tu lui remettras ce billet.

LANDRY.

Ce sera fait, messire.

(Il sort.)
RICHARD.

Dis donc, Jehan de Montlhéry, as-tu vu le cortège de la reine Marguerite et de ses deux sœurs, les princesses Blanche et Jeanne ?

JEHAN.

Je crois bien.

RICHARD.

Il ne faut pas demander maintenant où a passé la taxe que le roi Philippe le Bel, de glorieuse mémoire, a levée le jour où il a fait chevalier son fils aîné, Louis le Hutin ; j’ai reconnu mes trente sous parisis sur le dos du favori de la reine : seulement, de monnaie de billon ils étaient devenus drap d’or frisé et épingle. As-tu vu le Gaultier d’Aulnay, toi, Simon ?

(Philippe lève la tête et écoute.)
SIMON.

Sainte Vierge ! si je l’ai vu ?… Son cheval du démon caracolait si bien qu’il a mis une de ses pattes sur la mienne, aussi d’aplomb que s’il jouait au pied de bœuf ; et comme je criais miséricorde, son maître, pour me faire taire, m’a donné…

JEHAN.

Un écu d’or ?

SIMON.

Oui, un coup de pommeau de son épée sur la tête en m’appelant cagou.

JEHAN.

Et tu n’as rien fait au cheval et rien dit au maître ?

SIMON.

Au cheval, je lui ai vertueusement enfoncé trois pouces de ce couteau dans la culotte, et il s’est en allé saignant ; quant au maître, je l’ai appelé bâtard : il s’est en allé jurant.

PHILIPPE, de sa place.

Qui dit que Gaultier d’Aulnay est un bâtard ?

SIMON.

Moi.

PHILIPPE, lui jetant son gobelet à la tête.

Tu en as menti par la gorge, truand !

SIMON.

À moi, les enfants !

les manants, se jetant sur leurs couteaux.

Mort au mignon !… au gentilhomme !… au pimpant !