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tier avant demain dix heures, si je pouvais lui prendre ces tablettes… Gaultier qui ne me parlera que de son frère, qui va me demander justice du meurtre de son frère ; mais il m’aime plus que tout au monde, et s’il craint de me perdre il oubliera tout, même son frère… Il faut que je le voie ce soir… Où te trouver ? je tremble de me confier encore à cet Italien, il sait déjà tant de mes secrets. Il me semble avoir vu remuer cette porte… Buridan ne l’avait pas fermée !… elle s’ouvre !… un homme ! Orsini ! à moi ! Orsini !


Scène VII


MARGUERITE, GAULTIER.
GAULTIER.

Marguerite !… c’est toi, Marguerite ?

MARGUERITE.

Gaultier !… c’est mon bon génie qui me l’envoie.

GAULTIER.

Je t’ai cherchée toute la journée pour te demander justice, Marguerite… Je venais chez Orsini pour qu’il m’aidât à te voir, car il me faut justice… Te voilà, ma reine… Justice ! justice !

MARGUERITE.

Et moi je venais chez Orsini, comptant t’envoyer chercher par lui ; car avant de me séparer de toi, je voulais te dire adieu.

GAULTIER.

Adieu, dis-tu ?… Pardon, je ne comprends pas bien… car une seule idée me poursuit, m’obsède… je vois toujours sur cette grève nue le corps de mon frère, noyé… souillé… percé de coups… Il me faut son meurtrier, Marguerite !

MARGUERITE.

Oui, j’ai donné des ordres :… ton frère sera vengé, Gaultier ;… son meurtrier, nous le trouverons, je te le jure… Mais le roi arrive demain, il faut nous séparer.

GAULTIER.

Nous séparer ?… qu’est-ce que tu dis là ?… Mes pensées sont là comme une nuit d’orage, et ce que tu viens de me dire comme un éclair qui me permet d’y lire un instant… Oui, nous nous séparerons… oui, quand mon frère sera vengé.

MARGUERITE.

Nous nous séparerons demain… le roi vient demain ; oh ! pourquoi dans le cœur de mon Gaultier, dans ce cœur qui était tout entier à sa Marguerite, un autre sentiment est-il venu remplacer l’amour ? hier encore il était tout à moi ce cœur. — (Elle met la main sur la poitrine de Gaultier ; à part :) Les tablettes sont là.

GAULTIER.

Oui, tout entier à la vengeance ; puis après, tout entier à toi.

MARGUERITE.

Qu’as-tu donc là ?

GAULTIER.

Ce sont des tablettes.

MARGUERITE.

Oui, des tablettes qu’un moine t’a remises ce matin : tu es le dépositaire heureux des pensées de quelqu’une des femmes de ma cour.

GAULTIER.

Oh ! Marguerite ; te railles-tu de moi ? Non : ces tablettes me viennent d’un capitaine que je n’ai vu qu’une fois, dont je ne sais pas même le nom, qui me les a envoyées je ne sais pourquoi, et qui était hier ici avec mon frère, mon pauvre frère !

MARGUERITE.

Tu penses que je croirai cela, Gaultier ? Mais qu’importe ? la jalousie sied-elle à ceux qui vont être séparés à jamais ! Adieu, Gaultier, adieu !

GAULTIER.

Que fais-tu, Marguerite ? tu veux donc me rendre fou ! Je viens, désespéré, te redemander mon frère, et tu me parles de départ ; un premier malheur m’ébranle et tu m’écrases avec un second. Pourquoi partir ? pourquoi me dire adieu ?

MARGUERITE.

Le roi a des soupçons, Gaultier ; il ne faut pas qu’il te trouve ici : d’ailleurs, tu emporteras ces tablettes pour te consoler.

GAULTIER.

Tu crois donc réellement que c’est d’une femme ?

MARGUERITE.

j’en suis sûre. Déjà mille fois tu m’aurais rassurée en me les montrant.

GAULTIER.

Mais le puis-je ? Sont-elles à moi ? J’ai juré sur l’honneur de ne les ouvrir que demain, ou de les rendre à celui à qui elles appartiennent, s’il me les réclame. Puis-je te rendre plus claire une chose que je ne comprends pas moi-même ? J’ai juré sur l’honneur qu’elles ne sortiraient point de mes mains. Voilà tout ; j’ai juré.

MARGUERITE.

Et moi, je n’avais rien juré sur l’honneur, n’est-ce pas ? Je n’ai violé aucun serment pour toi, n’est-ce pas ? Oublie que j’ai été pour toi parjure, car le parjure est dans l’amour plutôt encore que dans l’adultère. Oublie et garde ta parole, et moi ma jalousie. Adieu !

GAULTIER.

Marguerite, au nom du ciel…

MARGUERITE.

L’honneur ! l’honneur d’un homme !… Et l’hon-