Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/374

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MARGUERITE.

Eh bien ! Lyonnet de Bournonville partit, n’est-ce pas ? et l’on ne sait ce qu’il est devenu, on ne le reverra jamais. La lettre est perdue ou déchirée, et ne peut être une preuve… Que peut donc avoir de commun avec cette histoire Marguerite, reine, régente de France ?

BURIDAN.

Lyonnet de Bournonville n’est pas mort ; et tu le sais bien, Marguerite, car je t’ai vue tressaillir tout à l’heure en le reconnaissant.

MARGUERITE.

Et la lettre, la lettre ?

BURIDAN.

La lettre ? c’est le premier placet qui sera offert demain à Louis X, roi de France, rentrant dans Paris.

MARGUERITE.

Tu dis cela pour m’épouvanter, cela n’est pas, cela ne peut être, tu te serais servi de ce moyen d’abord.

BURIDAN.

Tu as pris soin de m’en fournir un autre ; j’ai réservé celui-là pour une seconde occasion ; n’ai-je pas mieux fait ?

MARGUERITE.

La lettre ?

BURIDAN.

Demain ton époux te la rendra ; tu m’as dis quel était le supplice des meurtriers. Marguerite, sais-tu quel est celui des parricides et des adultères ? écoute, Marguerite : on leur rase les cheveux avec des ciseaux rougis, on leur ouvre, vivants, la poitrine pour leur arracher le cœur ; on le brûle, on en jette la cendre aux vents, et trois jours on traîne par la ville le cadavre sur une claie.

MARGUERITE.

Grâce ! grâce !

BURIDAN.

Allons, allons ; un dernier service, Marguerite, délie ces cordes. — (Il tend les mains ; Marguerite les délie.) Ah ! il est bon d’être libre ! vienne le bourreau, maintenant ! voilà des cordes. Eh bien ! qu’as-tu ? Demain on criera par la ville : Buridan, le meurtrier de Philippe d’Aulnay, s’est étranglé dans sa prison. Un autre cri lui répondra du Louvre : Marguerite de Bourgogne est condamnée à la peine des adultères et des parricides.

MARGUERITE.

Grâce, Buridan !

BURIDAN.

Je ne suis plus Buridan ; je suis Lyonnet de Bournonville… Le page de Marguerite… l’assassin du duc Robert.

MARGUERITE.

Ne crie pas ainsi !

BURIDAN.

Et que peux-tu craindre ? cet murs étouffent les cris, éteignent les sanglots, absorbent l’agonie.

MARGUERITE.

Que veux-tu ? que veux-tu ?

BURIDAN.

Tu rentres demain à la droite du roi, dans la ville de Paris : je veux rentrer à sa gauche : nous irons au-devant de lui ensemble.

MARGUERITE.

Nous irons.

BURIDAN.

C’est bien.

MARGUERITE.

Et cette lettre ?…

BURIDAN.

Eh bien ! quand on la lui présentera, c’est moi qui la prendrai ; ne serai-je pas premier ministre ?

MARGUERITE.

Marigny n’est point encore mort.

BURIDAN.

Hier, à la taverne d’Orsini, tu m’avais juré qu’à la dixième heure ce serait fait de lui.

MARGUERITE.

Il me reste une heure encore, c’est plus qu’il n’en faut pour accomplir ma promesse, et je vais donner l’ordre…

BURIDAN.

Attends ; une dernière question, Marguerite. Les enfants de Marguerite de Bourgogne et de Lyonnet de Bournonville, que sont-ils devenus ?

MARGUERITE.

Je les ai confiés à un homme.

BURIDAN.

Le nom de cet homme ?

MARGUERITE.

Je ne m’en souviens pas…

BURIDAN.

Cherche, Marguerite, et tu te le rappelleras.

MARGUERITE.

Orsini, je crois.

BURIDAN, appelant.

Orsini, Orsini !

MARGUERITE.

Que fais-tu ?

BURIDAN.

N’est-il pas là ?

MARGUERITE.

Non.

(Orsini entre.)
BURIDAN.

Le voici. Approche, Orsini ; demain je suis premier ministre… tu ne le crois pas ; dites-le-lui, madame, pour qu’il le croie.