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RAOUL.

Tenez, entendez-vous les cris des manants !

SAVOISY.

Nous avons fait une faute.

RAOUL.

Mais peut-être vous étonnerais-je bien, si je vous disais qui est à sa gauche.

SAVOISY.

Pardieu ! il serait plaisant que ce fût un autre que Gaultier d’Aulnay !

RAOUL.

Gaultier d’Aulnay n’est pas même dans le cortège.

SAVOISY.

Il n’est pas dans le cortège, il n’est pas ici ; est-ce qu’il y aurait eu fête cette nuit à la tour de Nesle ? est-ce qu’il y aurait encore un cadavre ou deux sur la rive de la Seine ? Voyons, qui était à sa gauche ?

RAOUL.

Messeigneurs, à sa gauche était, sur un cheval superbe, ce capitaine italien que nous avons vu arrêter hier par Gaultier sous le balcon du Louvre et conduire au grand Châtelet.

SAVOISY.

C’est impossible.

RAOUL.

Vous allez le voir.

PIERREFONDS.

Que dites-vous de cela, Savoisy ?

SAVOISY.

Je dis que nous vivons dans un temps bien étrange… Hier Marigny premier ministre… aujourd’hui Marigny arrêté… Hier ce capitaine arrêté… peut-être aujourd’hui ce capitaine sera-t-il premier ministre… on croirait, sur mon honneur, que Dieu joue aux dés avec Satan ce beau royaume de France.

LE PEUPLE, en dehors.

Noël ! Noël ! Vive le roi !

PIERREFONDS.

Et voici le peuple, qui s’inquiète peu qui on arrête ou qui on fait premier ministre, qui crie Noël à tue-tête sur le passage du roi.


Scène III


Les mêmes ; LE ROI, LA REINE, BURIDAN, PLUSIEURS SEIGNEURS.
LES SEIGNEURS, entrant.

Le roi, messieurs, le roi !

LE PEUPLE.

Noël ! Noël ! Vive le roi !

LE ROI, entrant.

Salut ! messeigneurs, salut ; nous sommes heureux d’avoir laissé dans la Champagne une aussi belle armée, et de retrouver ici une aussi belle noblesse.

SAVOISY.

Sire, le jour où vous réunirez armée et noblesse pour marcher contre vos ennemis sera un beau jour pour nous.

LE ROI.

Et pour vous aider à faire les frais de la campagne, messieurs, je vais donner l’ordre qu’une taxe soit levée sur la ville de Paris à l’occasion de ma rentrée.

LE PEUPLE, au-dessous de la croisée.

Vive le roi ! vive le roi !

LE ROI, allant au balcon.

Oui, mes enfants, je m’occupe de diminuer les impôts, je veux que vous soyez heureux, car je vous aime.

BURIDAN, à la reine.

Rappelez-vous nos conventions ; à nous deux le pouvoir, à nous deux la France.

LA REINE.

À compter d’aujourd’hui, vous prenez place avec moi au conseil.

BURIDAN.

Soyez-y de mon avis, je serai du vôtre.

LE PEUPLE, au-dessous de la croisée.

Vive le roi ! vive le roi !

LE ROI, du balcon.

Oui, oui, mes enfants. — (Se retournant vers Buridan.) Vous entendez, sire Lyonnet de Bournonville, vous ferez faire un nouveau relevé des états et métiers de la ville de Paris, afin que chacun ne paye pour cette nouvelle taxe que ce qu’il a payé pour l’autre ; il faut être juste.

SAVOISY.

Lyonnet de Bournonville ! il parait que ce n’est pas un chevalier de fortune, c’est un vieux nom.

LE ROI.

Nous rentrons au conseil ; messires, avant de prendre congé de vous, voici notre main à baiser.
(Il va s’asseoir sur un fauteuil qu’un page a placé au milieu du théâtre, un peu au fond. Le groupe de seigneurs, qui se forme autour du roi, laisse les deux côtés du théâtre libres.)

GAULTIER, entrant vivement.

La reine ! on m’a dit… la voilà.

LA REINE.

Gaultier ! approchez-vous, sire capitaine, et baisez la main du roi. — (Bas, pendant qu’il passe devant elle.) Je t’aime ! je n’aime que toi, je t’aimerai toujours.