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BURIDAN.

El tu bois, en m’attendant ?

LANDRY.

Je ne connais pas de meilleur compagnon que le vin,

BURIDAN, tirant sa bourse.

Si ce n’est l’or avec lequel on l’achète.

LANDRY.

Voici votre boîte.

BURIDAN.

Voici tes douze marcs d’or.

LANDRY.

Merci.

BURIDAN.

Maintenant, j’ai donné rendez-vous ici à un jeune homme ; il va venir, laisse-moi cette chambre un instant. Aussitôt que tu le verras sortir, reviens, j’ai à causer avec toi.

(On entend du bruit dans l’escalier.)
LANDRY.

Pardieu ! il vous suivait de près ; tenez, le voilà qui se casse le cou dans l’escalier.

BURIDAN.

Bien : laisse-nous.

GAULTIER, sur la porte.

Le capitaine Buridan ?

LANDRY.

Le voici.


Scène III


BURIDAN, GAULTIER.
BURIDAN, souriant.

Je croyais que vous connaissiez mon nouveau titre et mon nouveau nom, messire Gaultier ; je me trompais, ce me semble ; depuis ce matin on me nomme Lyonnet de Bournonville et l’on m’appelle premier ministre.

GAULTIER.

Peu m’importe de quel nom on vous nomme, peu m’importe quel titre est le vôtre, vous êtes un homme qu’un autre homme vient sommer de tenir sa promesse : étes-vous en mesure de la remplir ?

BURIDAN.

Je vous ai promis de vous faire connaître le meurtrier de votre frère.

GAULTIER.

Ce n’est pas cela : vous m’avez promis autre chose.

BURIDAN.

Je vous ai promis de vous dire comment Enguerrand de Marigny est passé en un jour du palais du Louvre au gibet de Montfaucon.

GAULTIER.

Ce n’est point cela : qu’il soit coupable ou non, c’est un débat entre ses juges et Dieu ; vous m’avez promis autre chose.

BURIDAN.

Est-ce de vous apprendre comment l’homme arrêté par vous hier est aujourd’hui premier ministre ?

GAULTIER.

Non, non : que ses moyens lui viennent de Dieu ou de Satan, peu m’importe ; il y a dans tout cela des secrets terribles que je ne veux pas approfondir : mon frère est mort, Dieu le vengera ; Marigny est mort, Dieu le jugera. Ce n’est pas cela ; vous m’avez promis autre chose.

BURIDAN.

Expliquez-vous.

GAULTIER.

Vous m’avez promis de me faire voir Marguerite.

BURIDAN.

Ainsi votre amour pour cette femme étouffe tout autre sentiment !… L’amitié fraternelle n’est plus qu’un mot, les intrigues sanglantes de la cour ne sont plus qu’un jeu… Oh ! vous êtes bien insensé !

GAULTIER.

Vous m’avez promis de me faire voir Marguerite.

BURIDAN.

Avez-vous besoin de moi pour cela ? ne pouvez-vous entrer par la porte secrète de l’alcôve, où tremblez-vous que, cette nuit comme l’autre, Marguerite ne rentre pas au Louvre ?

GAULTIER, anéanti.

Qui t’a dit cela ?

BURIDAN.

Celui avec lequel Marguerite a passé la nuit

GAULTIER.

Blasphème !… mais c’est toi qui es fou, Buridan.

BURIDAN.

Calme-toi, enfant ; et ne tourmente pas ton épée dans le fourreau… C’est une femme belle et passionnée que Marguerite, n’est-ce pas ? Que t’a-t-elle dit quand tu lui as demandé d’où lui venait cette blessure à la joue ?

GAULTIER.

Mon Dieu ! mon Dieu ! prenez pitié de moi.

BURIDAN.

Sans doute elle t’a écrit ?

GAULTIER.

Que t’importe ?

BURIDAN.

C’est d’un style magique et ardent qu’elle peint la passion, n’est-ce pas ?