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Scène VI


MARGUERITE, seule.

Ah ! Gaultier, mon gentilhomme bien-aimé ! il a voulu nous séparer, cet homme, nous séparer avant que nous ne fussions l’un à l’autre ! Tant qu’il n’a voulu que de l’or, je lui en ai donné ; des honneurs, il les a eus ; mais il a voulu nous séparer, et il meurt. Oh ! si tu savais qu’il a voulu nous séparer, Gaultier, toi-même me pardonnerais sa mort. Oh ! ce Lyonnet, ce Buridan, ce démon, qu’il rentre dans l’enfer dont il est sorti I oh ! c’est à lui que je dois tous mes crimes ! c’est lui qui m’a faite toute de sang. Oh ! si Dieu est juste, tout retombera sur lui. El moi, oh ! moi, moi ! si j’étais mon propre juge, je ne sais pas si j’oserais m’absoudre. — (Elle écoute à la porte.) On n’entend rien encore… rien.

LANDRY, du bas de la tour.

Y êtes-vous ?

BURIDAN, du balcon.

Oui.

MARGUERITE.

Quelqu’un à cette fenêtre ! Ah !


Scène VII


MARGUERITE, BURIDAN.
BURIDAN, faisant voler la fenêtre en morceaux et se présentant.

Marguerite ! Marguerite ! seule ! ah ! seule encore ! Dieu soit loué !

MARGUERITE, reculant.

À moi ! à moi !

BURIDAN.

Ne crains rien.

MARGUERITE.

Toi, toi ! venant par cette fenêtre ! c’est une apparition, un fantôme.

BURIDAN.

Ne crains rien, te dis-je.

MARGUERITE.

Mais pourquoi par cette fenêtre et non par cette porte ?

BURIDAN.

Je te le dirai tout à l’heure ; mais auparavant il faut que je te parle ; chaque minute que nous perdons est un trésor jeté dans un gouffre. Écoute-moi.

MARGUERITE.

Viens-tu encore me faire quelque menace, m’imposer quelque condition ?

BURIDAN.

Non, non : tiens, regarde ; non, tu n’as plus rien à craindre. Tiens, voilà loin de moi mon épée ! loin de moi mon poignard ! loin de moi cette boîte où sont tous nos secrets ! Maintenant tu peux me tuer, je n’ai pas d’arme, pas d’armure ; me tuer, puis prendre cette boîte, brûler ce qui s’y trouve, et dormir tranquille sur mon tombeau. Non, je ne viens pas te menacer. Je viens te dire… oh ! si yu savais ce que je viens te dire ! ce qui peut nous rester encore de jours de bonheur, à nous qui, nous-mêmes, nous sommes crus maudits.

MARGUERITE.

Parle, je ne te comprends pas.

BURIDAN.

Marguerite, ne te reste-t-il rien dans le cœur, rien d’une femme, rien d’une mère ?

MARGUERITE.

Où veux-tu en venir ?

BURIDAN.

Celle que j’ai connue si pure n’est-elle plus accessible à rien de ce qui est sacré pour Dieu et les hommes ?

MARGUERITE.

C’est toi qui viens me parler de vertus et de pureté ! Satan qui se fait convertisseur ! c’est étrange, tu en conviendras toi-même.

BURIDAN.

Peu importe quel nom tu me donnes, pourvu que ma parole te touche… Marguerite, n’as-tu jamais eu un instant de repentir ? Oh ! réponds-moi comme tu répondrais à Dieu : car, ainsi que Dieu, je puis tout en ce moment pour ton bonheur ou ton désespoir… je puis te damner ou t’absoudre ; je puis, à mon gré, t’ouvrir l’enfer ou le ciel… Suppose que rien ne s’est passé entre nous depuis trois jours… oublie tout, excepté ton ancienne confiance envers moi… n’as-tu pas besoin de dire à quelqu’un tout ce que tu as souffert ?

MARGUERITE.

Oh ! oui, oui, car il n’est point de prêtre à qui on ose confier de pareils secrets ! il n’y a qu’un complice et tu es le mien ! le mien, de tous mes crimes ! Oui, Buridan… ou plutôt Lyonnet, oui, tous mes crimes sont dans ma première faute !… Si la jeune fille n’avait pas manqué pour toi, pour toi, malheureux, à ses devoirs, son premier crime, son plus horrible, n’aurait pas été commis ; pour qu’on ne me soupçonnât pas de la mort de mon père, j’ai perdu mes fils !… Poursuivie par le remords, je me suis réfugiée dans le crime !… j’ai voulu étouffer dans le sang et les plaisirs cette voix de la conscience qui me criait incessamment : Malheur !… Autour de moi pas un mot pour me rappeler à la vertu, des bouches de courtisans qui me