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MADAME DE COSSÉ.

Et voilà le tort… Autrefois, on conservait son déguisement toute la nuit… Par exemple, au fameux bal masqué qui eut lieu lors de l’avènement au trône de Henri II, il y a vingt-cinq ans… Je n’en avais que vingt.

ARTHUR.

Il y a trente ans, madame de Cossé, ne vous en déplaise.

MADAME DE COSSÉ.

Vingt-cinq ou trente, peu importe… Alors je n’en avais que quinze. Eh bien, tout le monde resta en costume, jusqu’au moment où l’astrologue Lucas Gaudric prédit au roi qu’il serait tué dans un combat singulier. Onze ans après, Montgommery accomplit sa prédiction.

ARTHUR.

C’est bien malheureux ; depuis ce temps il n’y a plus de tournois.

MADAME DE COSSÉ.

C’est effectivement quelque chose de bien fâcheux… Il ferait beau voir joûter les jeunes gens de votre époque : voilà de plaisants damerets, en comparaison des chevaliers de Henri II.

ARTHUR.

Vous pourriez même dire, en comparaison des chevaliers du roi François Ier. Vous les avez vus, madame de Cossé.

MADAME DE COSSÉ.

J’étais un enfant… Je ne m’en souviens pas… Un enfant au berceau, entendez-vous ?

MARIE.

Mais il me semble, madame, que le baron de d’Épernon, le vicomte de Joyeuse, le seigneur de Bussy, le baron de Dunes…

ARTHUR.

Et le comte de Saint-Mégrin, donc…

MADAME DE COSSÉ.

Ah ! vous voilà encore avec votre petit Bordelais… J’aurais bien voulu le voir, avec une armure de deux cents livres, comme celle que portait M. de Cossé, mon noble époux, quand il me couronna Dame de la Beauté et des Amours, et brisa en mon honneur cinq lances, dont M. de Saint-Mégrin ne pourrait pas remuer la plus petite avec les deux mains… c’était au fameux tournoi de Soissons…

MARIE.

Au fameux tournoi de Soissons… ?

ARTHUR.

Eh ! oui… au fameux tournoi de Soissons, en 1546, un an avant la mort du roi François Ier, quand madame de Cossé était encore au berceau…

MADAME DE COSSÉ.

Petit drôle… vous vous fiez bien à ce que vous êtes le parent de madame la duchesse de Guise.


Scène II.


Les précédents ; LA DUCHESSE DE GUISE.
ARTHUR., courant à elle.

Oh ! venez, ma belle cousine et maîtresse ! et protégez-moi contre le courroux de votre première dame d’honneur..

LA DUCHESSE DE GUISE, distraite.

Qu’avez-vous fait, encore quelque espièglerie ?

ARTHUR.

Chevalier discourtois, je me souviens des dates.

MADAME DE COSSÉ, l’interrompant.

Madame la duchesse parait préoccupée.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Moi, non… N’auriez-vous pas trouvé ici un mouchoir à mes armes ?…

MARIE.

Non, madame.

ARTHUR.

Je vais le chercher ; et, si je le trouve, quelle sera ma récompense ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Ta récompense, enfant… un mouchoir mérite-t-il donc une grande récompense. Eh bien ! cherche-le, Arthur.

MARIE.

Pendant que madame était retirée dans son appartement, où elle avait dit, en rentrant, qu’elle voulait rester seule, la reine Louise est venue pour lui faire une visite ; elle avait dans sa bourse le plus joli petit sapajou.

MADAME DE COSSÉ.

Oui, elle désirait connaître le déguisement de madame. Elle est entrée chez madame de Montpensier ; et, comme j’y étais, je connais tous les costumes des seigneurs et dames de la cour.

LA DUCHESSE DE GUISE, à Arthur, qui revient s’asseoir à ses pieds.

Eh bien !

ARTHUR.

Je n’ai rien trouvé…

MADAME DE COSSÉ.

M. de Joyeuse est en Alcibiade… Il a un casque d’or massif… Son costume lui coûte, dit-on, 10,000 livres tournois. M. d’Épernon est…

ARTHUR.

Et M. de Saint-Mégrin ?.

(La duchesse tressaille.)
MADAME DE COSSÉ.

Ah !… M. de Saint-Mégrin, il avait aussi un costume très-brillant ; mais aujourd’hui il en a commandé un autre tout simple, un costume d’astrologue, semblable à celui que porte Côme Ruggieri…