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cheval le plus fougueux qui est le sien : s’il se bat moins souvent que les autres, c’est que l’on connait sa force, et qu’on hésite à lui chercher querelle. Le roi seul peut-être pourrait se défendre contre lui. Tous les autres seigneurs de la cour lui portent envie, et cependant la coupe de leur pourpoint et de leurs manteaux est toujours réglée sur celle des siens.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Oui, oui, c’est vrai… Il est homme de bon goût ; mais madame de Cossé parlait de sa froideur pour les dames, et tu ne voudrais pas prendre pour modèle un chevalier qui ne les aimât pas.

ARTHUR.

Oh ! la dame de Sauve est là pour témoigner du contraire.

LA DUCHESSE DE GUISE, vivement.

La dame de Sauve ! on dit qu’il ne l’a jamais aimée.

ARTHUR.

S’il ne l’aime pas, il en aime certainement une autre.

LA DUCHESSE DE GUISE.

T’aurait-il choisi pour confident ?… il ne ferait pas preuve de prudence, en le prenant si jeune…

ARTHUR.

Si j’étais son confident, ma belle cousine… on me tuerait plutôt que de m’arracher son secret… mais il ne m’a rien confié… j’ai vu.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Tu as vu… quoi… qu’as-tu vu ?

ARTHUR.

Vous vous rappelez le jour où le roi invita toute la cour à visiter les lions qu’il avait fait venir de Tunis, et qu’on avait placés au Louvre, avec ceux qu’il nourrit déjà ?…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Oh ! oui… leur aspect seul m’a effrayée, quoique je les visse d’une galerie élevée de dix pieds au-dessus d’eux.

ARTHUR.

Eh bien ! à peine en étions-nous sortis, que leur gardien jeta un cri ; je rentrai, M. de Saint-Mégrin venait de s’élancer dans l’enceinte des animaux, pour y ramasser un bouquet qu’y avait laissé tomber une dame…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Le malheureux ! ce bouquet était le mien.

ARTHUR.

Le vôtre, ma belle cousine ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Ai-je dit le mien ?…. oui, le mien, ou celui de madame de Sauve… vous savez qu’il a éperdument aimé madame de Sauve… le fou… Eh ! que faisait-il de ce bouquet ?

ARTHUR.

Oh ! il l’appuyait avec passion sur sa bouche… il le pressait contre son cœur… le gardien ouvrit une porte, et le fit sortir presque de force… il riait comme un insensé, lui jetait de l’argent ; puis il m’aperçut, cacha le bouquet dans sa poitrine, s’élança sur un cheval qui l’attendait dans la cour du Louvre, et disparut.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Est-ce tout ?… est-ce tout ?… oh ! encore, encore… parle-moi encore de lui.

ARTHUR.

Et depuis, je l’ai vu, il…

(On entend du bruit dans l’antichambre.)
LA DUCHESSE DE GUISE.

Silence ! enfant… Monsieur le duc… Reste près de moi, à mes pieds ; ne me quitte pas que je ne te l’ordonne…


Scène IV.


Les précédents ; LE DUC DE GUISE.
LE DUC DE GUISE.

Vous étiez levée, madame… allez-vous rentrer dans votre appartement ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Non, monsieur le duc, j’allais rappeler mes femmes pour achever ma toilette.

LE DUC DE GUISE.

Elle est inutile, madame, le bal n’a pas lieu, et vous devez en être contente, vous paraissiez n’y aller qu’à contre-cœur ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Je suivais vos ordres, et j’ai fait ce que j’ai pu pour que vous ne vissiez pas qu’ils m’étaient pénibles.

LE DUC DE GUISE.

Que voulez-vous ? j’ai compris que cette réclusion à laquelle vous vous condamniez était ridicule à votre âge… et qu’il fallait de temps en temps vous montrer à la cour ; certaines personnes, madame, pourraient y remarquer votre absence, et l’attribuer à des motifs !… Mais il s’agit d’autre chose, madame… Arthur, laissez-nous…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Et pourquoi éloigner cet enfant, monsieur le duc ; est-ce donc un entretien secret que vous voudriez ?…

LE DUC DE GUISE.

Et pourquoi le retenir, madame ! Craindriez-vous de rester seule avec moi ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Moi, monsieur, et pourquoi ?