Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/580

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Et je voudrais sauver à ma race future
Les éternels combats de l’humaine nature,
Jusqu’à ce que, parmi ces fils d’avance élus,
Il en naisse un, enfin, d’esprits si dissolus,
Que, sans être poussé par Satan vers l’abîme,
De son propre penchant il commette un grand crime.
Or, ajouta Don Juan, Seigneur, pour que cela
S’accomplisse, ordonnez que l’ange que voilà
(Et c’est moi qu’il montrait) descende sur la terre
Avec la mission d’accomplir ce mystère. »
Dieu dit : « Il sera fait comme vous le voulez. »
Et, se tournant vers moi, Dieu dit encore : « Allez ! »
Alors, je descendis de la voûte éternelle,
Et, depuis ce moment, céleste sentinelle,
J’ai sur toi, nuit et jour, veillé silencieux,
Immobile, debout, et sans fermer les yeux.
Ainsi, pour que ma main abandonne son glaive,
Pour que mon pied vengeur de ton sein se soulève,
Il faut qu’obéissant au décret éternel,
Un des fils de Don Juan devienne criminel.
Maudit ! Sois donc encor patient au supplice,
Jusqu’à ce que l’arrêt prononcé s’accomplisse.

LE MAUVAIS ANGE, riant.

Ah ! Merci : maintenant, lâche esclave de Dieu,
Fais jaillir les éclairs de ton glaive de feu,
Charge d’un nouveau poids ma poitrine épuisée,
Jusqu’à ce que ton pied sente qu’elle est brisée.
Poursuis ta mission, bourreau de Jéhova !
Et, tant que le Seigneur te dira d’aller, va !
La vengeance pour lui n’aura plus de longs charmes,
Et mon œil a saigné ses plus sanglantes larmes.
Ah ! Ce fut un Don Juan, seigneur de Marana,
Dont la main, sur ce marbre, as-tu dit, m’enchaîna :
Eh bien, il a céans un fils qui, je l’espère,
Est né pour délier ce que lia son père ;
Ou je me trompe fort, ou bien, par lui, la loi
S’accomplira.

LE BON ANGE.

Silence !

LE MAUVAIS ANGE.

À moi, Don Juan !… À moi !…


Scène II

.

Les mêmes, Don Juan, Don Christoval, Don Manuel, Carolina, Juana, Vittoria, pages, valets.

La porte du fond s’ouvre ; on aperçoit une salle à manger toute resplendissante de lumière ; de jeunes cavaliers et de jeunes femmes se lèvent de table ; deux nègres vêtus en pages entrent en portant des flambeaux ; la scène s’éclaire.

DON JUAN, à Christoval, qui reste en arrière, un verre à la main.

Allons, Christoval, assez de xérès et de porto comme cela ! C’est boire en muletier et non en gentilhomme. Au salon, pour les glaces et les sorbets !

À moi, Carolina !

CAROLINA, passant son bras autour du cou de Don Juan.

Me voilà, Monseigneur !…

DON CHRISTOVAL, vidant son verre. Alors décidément, Don Juan, tu me l’enlèves ?

CAROLINA.

Il ne m’enlève pas, je te quitte.

DON CHRISTOVAL.

Et pourquoi me quittes-tu, infidèle ?

CAROLINA.

Parce que, depuis trois jours que nous nous connaissons, il y en a deux que je ne t’aime plus, et un que je te déteste.

DON MANUEL.

Plains-toi encore de la fausseté des femmes, Christoval !

DON CHRISTOVAL.

Cela tombe admirablement bien ; car, pendant le dîner, je me suis fiancé à la Juana.

DON MANUEL.

M’aurais-tu fait cette infidélité, païenne ?…

JUANA.

Au contraire, j’agis par pure charité chrétienne : ce pauvre Christoval est si triste d’avoir perdu Carolina, qu’il mourrait de chagrin s’il ne trouvait à la minute quelqu’un qui le consolât.

DON MANUEL.

Très bien ! Alors, à moi la Vittoria !

VITTORIA, adossée au piédestal, et repoussant Don Manuel.

Non pas, Monseigneur ! J’aime Don Juan et pas un autre.

DON JUAN, se levant et allant à Vittoria.

Oh ! Sur mon honneur, voilà un trait merveilleux et qui demande récompense.

VITTORIA, l’arrêtant.

Si tu as quelque chose à me donner, Monseigneur, donne-moi ton poignard.

DON JUAN.

Que veux-tu faire ?

VITTORIA.

Que t’importe ?

DON JUAN.

Prends, ma jalouse.

CAROLINA.

Si tu fais de tels cadeaux à la femme que tu n’aimes plus, que donneras-tu à celle que tu commences à aimer ?

DON JUAN, se couchant sur un divan.

Je lui donnera