Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/597

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frère ; je sais qu’il y a des liens de nature que tu ne voudrais pas rompre.

DON JUAN.

C’est cela ! Et, pour cet amour fraternel, à cause de ces liens de nature, il faut que je dise à mon sang de cesser de battre ; et, si mon sang est indocile, si mon cœur est rebelle, s’ils refusent d’obéir à ma volonté humaine, j’irai implorer l’assistance divine, je demanderai aux macérations du cloître d’éteindre mes passions, je revêtirai le cilice pour que les douleurs du corps me fassent oublier les tortures de l’âme… J’userai mes genoux à prier Dieu de m’ôter du cœur cet amour qu’il m’y aura mis ?… Don Juan pénitent, Don Juan moine, Don Juan canonisé, peut-être !… Ce serait un miracle à mettre toutes les Espagnes en joie ! Et, pendant que je gagnerais le ciel, je m’en rapporterais à Don Josès du soin de perpétuer mon nom, et de soutenir la splendeur de notre famille ?

DON JOSÈS.

Laisse-moi croire que tu railles, Don Juan ; laisse-moi douter encore, frère !…

DON JUAN.

J’aime Teresina, te dis-je, et, sur ma foi de gentilhomme, elle sera à moi !

DON JOSÈS.

Alors, c’est une lutte que tu me proposes ?…

DON JUAN.

Non, tu ne lutteras pas… Je suis un fou et tu es un sage… Tu songeras aux dangers qu’entraînerait une pareille guerre, et le sage fera place à l’insensé.

DON JOSÈS.

Mais je l’aime plus que tu ne peux l’aimer… Toi…

DON JUAN.

Josès, Josès ! Ne compare pas les tempêtes des fleuves à celles de l’Océan !

DON JOSÈS.

Mes droits sont sacrés.

DON JUAN.

Parce qu’ils sont antérieurs aux miens, n’est-ce pas ? Tu veux me prendre ma place dans le cœur de Teresina, comme tu l’avais prise dans la maison de mon père… Prends garde, Don Josès !… Tu n’es pas heureux en usurpations !

DON JOSÈS.

Que dis-tu ?

DON JUAN.

Je dis qu’un aventurier peut bien se glisser dans le sein d’une famille, ou dans le cœur d’une femme, escroquer un titre ou voler un amour… Mais je dis aussi que, lorsque le véritable maître arrive, on chasse l’étranger. Me voilà !… Arrière, Don Josès, arrière !

DON JOSÈS.

Don Juan, Don Juan, tu te rappelles trop que je suis ton frère, et pas assez que je suis gentilhomme.

DON JUAN.

Tu en as menti, Don Josès, tu n’es ni l’un ni l’autre.

DON JOSÈS.

Oh ! C’en est trop !

SCÈNE X. Les mêmes, Teresina.

DON JUAN, se croisant les bras.

Toi, gentilhomme ? Toi, mon frère ? Et où est ta lettre d’affranchissement, esclave ? Où est ton acte de reconnaissance, bâtard ? Ah ! Tu croyais sans doute que le révérend Don Mortès les avait arrachés à la main mourante de mon père ? Eh bien, tu te trompais.

Tiens, lis !…

TERESINA.

Don Josès ! Don Juan ! Qu’y a-t-il ?

DON JOSÈS, ramassant le parchemin.

Se pourrait-il ? Oh ! Mon Dieu !…

TERESINA.

Mais qu’y a-t-il ?…

DON JUAN, la prenant par le bras et lui montrant Don Josès.

Il y a… que cet homme vous avait dit qu’il était noble, n’est-ce pas ? Qu’il avait des châteaux et des titres, n’est-ce pas ? Qu’il vous donnerait un manteau de cour et une couronne de duchesse, n’est-ce pas ? Eh bien, cet homme, c’était un vassal et un serf, et voilà tout. Holà, messieurs ! Entrez !

TERESINA.

Est-ce vrai, Don Josès ?

DON JOSÈS, écrasé.

Mon Dieu ! Mon Dieu !…

DON JUAN.

Maintenant, pâlis et tremble devant ton seigneur, esclave !… Chapeau bas devant ton maître, vassal !

Dépouille ces vêtements, qui sont ceux d’un gentilhomme..

… et revêts la livrée