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Scène II

I. Don Juan, Marthe.

MARTHE, vêtue d’une robe blanche déchirée et verdie par l’herbe, les cheveux épars, passe par une brèche, et entre en scène.

Oh ! Le beau jardin, et comme les marguerites y poussent ! J’en aurai bientôt assez pour me faire une couronne, s’ils ne me rattrapent pas.

Don Juan ! Don Juan !

DON JUAN, l’apercevant.

Grand Dieu, est-ce Marthe ? Oh ! Mon Dieu, donnez-moi des forces contre l’amour !

MARTHE.

D’ailleurs, s’ils courent après moi, je me cacherai comme cette nuit dans les buissons avec les oiseaux… Il fait froid, la nuit !

DON JUAN, les bras étendus vers elle.

Marthe ! Marthe !

MARTHE.

Et pourtant ils chantent en se réveillant ! Je sais ce qu’ils chantent, moi ; je suis leur sœur ; ce matin, il y en avait un qui disait :

Lorsque la nuit était sans voiles,
Lorsque le jour était sans pleurs,
Quand je planais sur les étoiles,
Au lieu de marcher sur des fleurs…
Tiens, une statue… Elle s’est endormie au soleil… Il fait bon au soleil !
Le soleil vient de Dieu.

DON JUAN.

Pauvre enfant, elle est folle !

MARTHE, appelant.

Don Juan ! Don Juan ! Me voilà, mon fiancé ; vois comme je suis jolie, comme je suis parée, comme j’ai une belle couronne !

DON JUAN.

Prenez pitié de moi, mon Dieu ! Prenez pitié de moi !

MARTHE.

Et puis je suis riche, maintenant ; j’ai hérité des châteaux et des bijoux de ma sœur Inès, qui est morte empoisonnée.

DON JUAN.

Qui t’a dit cela ?

MARTHE, levant la tête.

Inès. Elle revient toutes les nuits ; car, quoique son corps ait été déposé en terre sainte, son âme est errante ; elle aussi, elle chante comme les oiseaux qui s’éveillent, mais tristement, tristement, tristement.

Mes os blanchissent sur la terre ;

Je n’ai ni bière, ni linceul…

Tiens, tiens… la vois-tu qui passe ?… Oui, sœur, oui, je sortirai ton corps de cette église, pour que ton âme perdue puisse revenir le visiter… Je le couvrirai de terre ; puis, sur cette terre, je planterai des fleurs… Les fleurs poussent bien sur les tombes… Ils voulaient m’empêcher d’aller te rejoindre… Ah ! Ah ! Ah ! Ils ne savaient pas que j’ai des ailes… Ils ont voulu me retenir, mais je me suis envolée, et j’ai ri alors.

Ah ! Ah ! Ah ! Oh ! Oh ! Que je souffre, mon Dieu !

DON JUAN.

Marthe ! Reviens à toi, mon enfant, ma sœur.

MARTHE. Laissez-moi, je sais de belles prières. Je vais prier.

ÔVierge sainte… étoile… matinale,
Miroir… de pureté, vous qui priez pour nous.


Oh ! Je ne me rappelle plus… Si je me rappelais… Il me semble que je serais guérie.

Allons, voilà que j’ai perdu mes fleurs (se relevant) ; il faut que j’en cherche d’autres, maintenant ; j’ai cueilli toutes celles qui sont ici.

Don Juan ! Don Juan !

Sortons promptement de la ville ;
Nous trouverons, beau chevalier,
Près de la porte de Séville,
Un page tenant l’étrier
D’une mule sans cavalier.
Nous voyagerons côte à côte,
Tant que terre nous portera…

DON JUAN, marchant derrière elle jusqu’aux cyprès.

Ô mon Dieu ! Je suis un être bien fatal aux autres et à moi-même ; tout ce que je touche se brise ou se flétrit ; et ceux à qui je n’ôte pas la vie perdent la raison.