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LE CONSTABLE.

Et je la tiendrai, monsieur Kean, ce n’est point à un artiste comme vous que je voudrais manquer de parole.

(Il sort.)



Scène IX.

 

KEAN, ANNA.
KEAN.

Il est sorti, Anna. Oh ! je vais vous faire une demande étrange, que vous pourriez me refuser, mais que vous ne me refuserez pas ; un dernier sacrifice, un dernier dévouement… Une femme est là, vous le savez, une femme qui serait perdue si son visage était reconnu, si son nom était prononcé, car elle est mariée. Oh ! Anna ! Anna ! au nom de ce que vous avez de plus cher et de plus sacré, prenez pitié d’elle !

ANNA, détachant son voile et sa mante.

Tenez, Kean.

KEAN, tombant à genoux.

Anna ! Anna ! vous êtes un ange ! Elena ! (Se précipitant dans le cabinet.) Elena ! vous êtes sauvée ! (Il pousse un cri.) Ah !

ANNA.

Qu’y a-t-il ? mon Dieu !

KEAN.

Elena !… Elena !… personne… disparue, et la fenêtre ouverte, la Tamise ! Oh ! elle aura entendu la voix de son mari, ses menaces… oh ! je suis son meurtrier, son assassin, c’est moi qui l’ai tuée ! (S’élançant vers la porte du fond.) Perdue ! perdue !


Scène X.

 

Les précédents ; LE PRINCE DE GALLES.
LE PRINCE, à demi-voix.

Sauvée !

KEAN.

Elena ?

LE PRINCE.

Oui.

KEAN.

Comment ?

LE PRINCE.

Par un ami qui veille sur vous depuis hier, et qui, à tout hasard et prévoyant tout péril, avait une gondole sous vos fenêtres et une voiture devant votre porte.

KEAN.

Et où est-elle ?

LE PRINCE.

Chez elle, où je l’ai fait reconduire par un homme de confiance, tandis que j’écrivais, moi. Avez-vous reçu ma lettre ?

KEAN.

Oui, mon prince, et vous m’avez sauvé deux fois. Comment expierai-je mes torts envers vous, monseigneur ? oui, j’ai mérité la prison, et j’irai avec joie.

LE PRINCE.

Eh bien, pas du tout ! c’est que vous n’irez pas, monsieur.

(Anna lève la tête.)
KEAN.

Comment ?

LE PRINCE.

J’ai obtenu de mon frère, à grand’peine, je vous l’avouerai, et voilà pourquoi ma gondole était sous vos fenêtres et ma voiture devant votre porte, que vos six mois de prison, car il ne s’agissait de rien moins que de six mois de prison, fussent convertis en une année d’exil.

KEAN.

Ah ! Votre Altesse m’envoie en exil, tandis que la comtesse de Kœfeld…

LE PRINCE.

Retourne en Danemark, monsieur, où les premières dépêches de son roi rappelleront l’ambassadeur. Êtes-vous tranquille, maintenant ?

KEAN.

Oh ! mon prince ! Et le lieu de mon exil est-il indiqué ?

LE PRINCE.

Vous irez où vous voudrez, pourvu que vous quittiez l’Angleterre : à Paris, à Berlin, à New-York.

KEAN.

J’irai à New-York.

ANNA, se levant.

Que dit-il.

KEAN.

Fixe-t-on le moment de mon départ ?

LE PRINCE.

Vous avez huit jours pour régler vos affaires.

KEAN.

Je partirai dans une heure.

ANNA, s’approchant de Kean.

Ah ! mon Dieu !

KEAN.

Le bâtiment sur lequel je dois m’éloigner m’est-il désigné ?

LE PRINCE.

Non, vous prendrez celui que bon vous semblera.