Page:Dumas - Œuvres - 1838, vol.2.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais la barre en a été enlevée ; une seconde clef est entre ses mains, — (Cherchant.) et l’autre…

SAINT-MÉGRIN.

N’est-ce que cela ? attendez. — (Il brise la pointe de son poignard dans la serrure.) Maintenant cette porte ne s’ouvrira plus qu’on ne l’enfonce.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Bien, bien ! cherchons un moyen, une issue… Mes idées se heurtent ! ma tête se brise !…

SAINT-MÉGRIN, s’élançant vers la fenêtre.

Cette fenêtre…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Gardez-vous-en bien ! vous vous tueriez !

SAINT-MÉGRIN.

Me tuer sans vengeance ! Vous avez raison ; je les attendrai.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! secourez-nous ! Oh ! toutes les mesures de vengeance ne sont que trop bien prises… Et c’est moi, moi, qui n’ai pas su souffrir. — (Tombant à genoux.) Comte, au nom du ciel ! votre pardon ! — (Se relevant.) ou plutôt, non, non, ne me pardonnez pas… et, si vous mourez, je mourrai avec vous !

(Elle tombe dans un fauteuil.)
SAINT-MÉGRIN, à ses pieds.

Eh bien ! rends-moi donc la mort plus douce. Dis, dis-moi que tu m’aimes… C’est un pied dans la tombe que je t’en conjure. Je ne suis plus pour toi qu’un mourant. Les préjugés du monde disparaissent, les liens de la société se brisent devant l’agonie. Entoure mes derniers moments des félicités du ciel… Ah ! dis, dis-moi que je suis aimé.

LA DUCHESSE DE GUISE.

Eh bien oui, je vous aime ! et depuis longtemps. Que de combats je me suis livrés pour fuir vos yeux, pour m’éloigner de votre voix ! vos regards, vos paroles me poursuivaient partout. Non ! pour nous la société n’a plus de liens, le monde n’a plus de préjugés… Écoute-moi donc : oui, oui, je t’aime…. Ici, dans cette même chambre, que de fois j’ai fui un monde que ton absence dépeuplait pour moi ! Que de fois je suis venue m’isoler avec mon amour et mes pleurs ! et alors je revoyais tes yeux, j’entendais encore tes paroles, et je te répondais. Eh bien ! ces moments, ils ont été les plus doux de ma vie.

SAINT-MÉGRIN.

Oh ! assez, assez… Tu ne veux donc pas que je puisse mourir… Malédiction !… Là, toutes les félicités de la terre, et là, la mort, l’enfer… Oh ! tais-toi, ne me dis plus que tu m’aimes… Avec ta haine, j’aurais bravé leurs poignards ; et maintenant, ah ! je crois que j’ai peur !

LA DUCHESSE DE GUISE.

Saint-Mégrin, oh ! ne me maudis pas.

SAINT-MÉGRIN.

Si, si, je te maudis pour ton amour qui me fait entrevoir le ciel et mourir… mourir ! Jeune, aimé de toi ! est-ce que je puis mourir ! Non, non ; redis-moi que tout cela n’était qu’illusion et mensonge !

(On entend du bruit.)
LA DUCHESSE DE GUISE.

Ah ! ce sont eux !

SAINT-MÉGRIN.

Ce sont eux. — (Tirant son épée et s’appuyant dessus avec calme.) Éloigne-toi ; tu m’as vu faible, insensé ; en face de la mort, je redeviens un homme… éloigne-toi.

LA DUCHESSE DE GUISE, après un moment de réflexion.

Saint-Mégrin ! écoute… écoutez. Cette fenêtre est… oui ! je m’en souviens… Il y a un balcon au premier étage ; si vous l’atteigniez une fois… une ceinture… une corde ; vous pouvez descendre jusque-là, et alors vous êtes sauvé. — (Cherchant.) Mon Dieu ! rien, rien.

SAINT-MÉGRIN.

Calme-toi ! Catherine, Voyons ! — (Allant à la fenêtre.) Si je pouvais seulement distinguer ce balcon… mais rien qu’un gouffre.

LA DUCHESSE DE GUISE.

On entend du bruit dans la rue. — (Se précipitant vers la fenêtre.) Qui que vous soyez, au secours ! au secours !

SAINT-MÉGRIN, l’arrachant de la fenêtre.

Que fais-tu ? veux-tu les avertir ! — (Un paquet de cordes tombe dans la chambre.) Qu’est-ce là ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Ah ! vous êtes sauvé ! — (Elle le prend.) D’où vient-il ? Un billet. — (Elle lit.) Quelques mots que j’ai entendus m’ont tout appris. Je n’ai que ce moyen de vous sauver, et je l’emploie. Arthur. Arthur ! ô cher enfant ! — (À Saint-Mégrin.) C’est Arthur ; fuyez, fuyez vite.

SAINT-MÉGRIN, attachant la corde.

En aurai-je le temps ? cette porte ; — (On l’agite violemment.) Cette porte…

LA DUCHESSE DE GUISE.

Attendez.

(Elle passe son bras entre les deux anneaux de fer.)
SAINT-MÉGRIN.

Ah ! Dieu ! que faites-vous ?

LA DUCHESSE DE GUISE.

Laisse ! laisse ! c’est le bras qu’il a déjà meurtri.

SAINT-MÉGRIN.

J’aime mieux mourir.