Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/131

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— Je serai fort, du moins, car c’est la sagesse qui fait la force.

— Où avez-vous lu cela, s’il vous plaît ?

— Que vous importe ? Revenez à ce que je vous disais sous la voûte.

Nicole sentait qu’elle perdait de plus en plus son terrain.

— Eh bien ! vous me disiez : « Je suis pauvre, Nicole, personne ne m’aime, on ne sait pas que j’ai quelque chose là », et vous frappiez votre cœur.

— Vous vous trompez, Nicole ; si je frappais quelque chose en vous disant cela, ce ne devait pas être mon cœur, mais ma tête. Le cœur n’est qu’une pompe foulante destinée à pousser le sang aux extrémités. Lisez le Dictionnaire philosophique, article Cœur.

Et Gilbert se redressa avec suffisance. Humilié devant Balsamo, il se faisait superbe devant Nicole.

— Vous avez raison, Gilbert, et ce devait être effectivement votre tête que vous frappiez. Vous disiez donc, en frappant votre tête : « On me traite ici comme un chien de basse-cour, et encore Mahon est plus heureux que moi. » Je vous répondis alors qu’on avait tort de ne pas vous aimer, et que, si vous aviez été mon frère, je vous eusse aimé, moi. Il me semble que c’est avec mon cœur et non avec ma tête que je vous ai répondu cela. Mais peut-être me trompé-je : je n’ai pas lu le Dictionnaire philosophique.

— Vous avez eu tort, Nicole.

— Vous me prîtes alors dans vos bras.« Vous êtes orpheline, Nicole, me dites-vous ; moi aussi, je suis orphelin ; notre misère et notre abjection nous font plus que frères : aimons-nous donc, Nicole, comme si nous l’étions réellement. D’ailleurs, si nous l’étions réellement, la société nous défendrait de nous aimer comme je veux que tu m’aimes. » Alors vous m’avez embrassée.

— C’est possible.

— Vous pensiez donc ce que vous disiez ?

— Sans doute. On pense presque toujours ce que l’on dit dans le moment où on le dit.