Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/201

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Nicole regarda Andrée avec un dernier doute. Andrée, en parlant ainsi, usait-elle d’une profonde hypocrisie, ou se laissait-elle aller à sa parfaite innocence ?

Andrée n’avait peut-être pas regardé Gilbert, c’était ce que se disait Nicole ; mais à coup sûr, se disait-elle encore, Gilbert avait regardé Andrée.

Elle voulut être mieux renseignée en tout point avant de tenter la demande qu’elle projetait.

— Est-ce que Gilbert ne vient pas avec nous à Paris, mademoiselle ? demanda Nicole.

— Pourquoi faire ? répliqua Andrée.

— Mais…

— Gilbert n’est pas un domestique ; Gilbert ne peut être l’intendant d’une maison parisienne. Les oisifs de Taverney, ma chère Nicole, sont comme les oiseaux qui gazouillent dans les branches de mon petit jardin et dans les haies de l’avenue. Le sol, si pauvre qu’il soit, les nourrit. Mais un oisif, à Paris, coûte trop cher, et nous ne saurions là-bas le tolérer à rien faire.

— Si je l’épouse, cependant… balbutia Nicole.

— Eh bien ! Nicole, si tu l’épouses, tu demeureras avec lui à Taverney, dit Andrée d’un ton ferme, et cette maison que ma mère aimait tant, vous nous la garderez.

Nicole fut abasourdie du coup ; impossible de trouver le moindre mystère dans les paroles d’Andrée. Andrée renonçait à Gilbert sans arrière-pensée, sans l’ombre d’un regret ; elle livrait à une autre celui que, la veille, elle avait honoré de sa préférence ; c’était incompréhensible.

— Sans doute les demoiselles de qualité sont ainsi faites, se dit Nicole ; c’est pour cela que j’ai vu si peu de chagrins profonds au couvent des Annonciades, et cependant, que d’intrigues !

Andrée devina probablement l’hésitation de Nicole ; probablement aussi vit-elle son esprit flotter entre l’ambition des plaisirs parisiens et la douce et tranquille médiocrité de Taverney, car, d’une voix douce, mais ferme :

— Nicole, dit-elle, la résolution que tu vas prendre décidera