Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/205

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Et c’est après être devenue riche, se hâta de dire celui-ci, que vous conservez pour moi de pareilles intentions ; en vérité, je vous en suis bien reconnaissant.

— Vraiment ?

— Sans doute.

— Eh bien ! dit franchement Nicole, touchez-là.

— Moi ?

— Vous acceptez, n’est-ce pas ?

— Je refuse.

Nicole fit un bond.

— Tenez, dit-elle, vous êtes un mauvais cœur ou tout au moins un mauvais esprit, Gilbert, et, croyez-moi, ce que vous faites en ce moment ne vous portera point bonheur. Si je vous aimais encore, et si j’avais mis en ce que je fais en ce moment autre chose qu’un point d’honneur et de probité, vous me déchireriez l’âme. Mais, Dieu merci ! j’ai voulu qu’il ne fût pas dit que Nicole, devenue riche, méprisait Gilbert et lui rendait une souffrance pour une insulte. À présent, Gilbert, tout est fini entre nous.

Gilbert fit un geste d’indifférence.

— Ce que je pense de vous, vous ne pouvez en douter, dit Nicole ; me décider, moi, moi dont vous connaissez le caractère aussi libre, aussi indépendant que le vôtre, me décider, moi, à m’enterrer ici, quand Paris m’attend ! Paris qui sera mon théâtre, comprenez-vous ? Me décider à avoir tout le jour, toute l’année et toute la vie, cette froide et impénétrable figure derrière laquelle se cachent tant de vilaines pensées ! C’était un sacrifice ; vous ne l’avez pas compris, tant pis pour vous. Je ne dis pas que vous me regretterez, Gilbert ; je dis que vous me redouterez et que vous rougirez de me voir là où m’aura conduite votre mépris de ce jour. Je pouvais redevenir honnête ; une main me manquait, une main amie pour m’arrêter au bord de l’abîme où je penche, où je glisse, où je vais tomber. J’ai crié : « Aidez-moi, soutenez-moi ! » vous m’avez repoussée, Gilbert. J’y roule, j’y tombe, je m’y perds. Dieu vous tiendra compte de ce crime. Adieu, Gilbert, adieu.

Et la fière jeune fille s’en retourna sans colère, sans impatience,