Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/213

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philosophe, le voyant sur la route, son bâton à la main, son mince bagage accroché à sa boutonnière, faisant des enjambées rapides, sautant des talus pour économiser le terrain et s’arrêtant à chaque montée comme s’il eût dit dédaigneusement aux chevaux :

— Vous n’allez pas assez vite pour moi, et je suis forcé de vous attendre !

Philosophe ! oh ! oui, certes, il l’était bien alors, si l’on appelle philosophie le mépris de toute jouissance, de toute facilité. Certes, il n’avait pas été accoutumé à une vie molle, mais combien de gens l’amour n’amollit-il pas !

C’était donc, il faut le dire, un beau spectacle, un spectacle digne de Dieu, père des créatures énergiques et intelligentes, que celui de ce jeune homme courant, tout poudreux et tout rougissant, pendant une heure ou deux, jusqu’à ce qu’il eût presque rattrapé le carrosse, et se reposant avec délices lorsque les chevaux n’en pouvaient plus. Gilbert, ce jour-là, n’eût dû inspirer que de l’admiration à quiconque eût pu le suivre des yeux et de l’esprit, comme nous le suivons ; et qui sait même si la superbe Andrée, le voyant, n’eût pas été touchée, et si cette indifférence qu’elle avait manifestée à l’endroit de sa paresse, ne se fût point changée en estime pour son énergie ?

La première journée se passa ainsi. Le baron s’arrêta même une heure à Bar-le-Duc, ce qui donna à Gilbert tout le temps, non seulement de le rejoindre, mais de le dépasser. Gilbert fit le tour de la ville, car il avait entendu l’ordre donné de s’arrêter chez un orfèvre ; puis, quand il vit venir le carrosse, il se jeta dans un massif, et, le carrosse passé, il se mit comme auparavant à sa suite.

Vers le soir, le baron rejoignit les voitures de la dauphine au petit village de Brillon, dont les habitants, amoncelés sur la colline, faisaient entendre des cris de joie et des souhaits de prospérité.

Gilbert n’avait mangé pendant toute la journée qu’un peu de pain emporté de Taverney ; mais, en récompense, il avait à discrétion bu l’eau d’un magnifique ruisseau qui traversait la