Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/227

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— C’est qu’à Versailles on ne vit pas de courage.

— J’irai à Paris.

— Paris, à ce point de vue, ressemble fort à Versailles.

— Si l’on ne vit point de courage, on vit de travail, madame.

— Bien répondu, mon enfant. Mais de quel travail ? Vos mains ne sont pas celles d’un manouvrier ou d’un portefaix.

— J’étudierai, madame.

— Vous me paraissez déjà très savant.

— Oui, car je sais que je ne sais rien, répondit sentencieusement Gilbert se rappelant le mot de Socrate.

— Et sans être indiscrète, puis-je vous demander quelle science vous étudierez de préférence, mon petit ami ?

— Madame, dit Gilbert, je crois que la meilleure des sciences est celle qui permet à l’homme d’être le plus utile à ses semblables. Puis, d’un autre côté, l’homme est si peu de chose, qu’il doit étudier le secret de sa faiblesse pour connaître celui de sa force. Je veux savoir un jour pourquoi mon estomac a empêché mes jambes de me porter ce matin ; enfin, je veux savoir encore si ce n’est point cette même faiblesse d’estomac qui a amené en mon cerveau cette colère, cette fièvre, cette vapeur noire, qui m’ont terrassé.

— Ah ! mais vous ferez un excellent médecin, et il me semble que vous parlez déjà admirablement médecine. Dans dix ans, je vous promets ma pratique.

— Je tâcherai de mériter cet honneur, madame, dit Gilbert.

Le postillon s’arrêta. On était arrivé au relais sans avoir vu aucune voiture.

La jeune dame s’informa. La dauphine venait de passer il y avait un quart d’heure ; elle devait s’arrêter à Vitry pour relayer et déjeuner. Un nouveau postillon se mit en selle.

La jeune dame le laissa sortir du village au pas ordinaire ; puis, arrivé à quelque distance au delà de la dernière maison :

— Postillon, dit-elle, vous engagez-vous à rattraper les voitures de madame la dauphine ?

— Sans doute.

— Avant qu’elles ne soient à Vitry ?