Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/253

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— Audience particulière. Il faut que je parle à M. de Sartines : faites-le entrer seul.

L’ordre était à peine transmis par la camériste de la comtesse à un grand valet de pied qui se tenait dans le corridor conduisant des antichambres à la chambre de la comtesse, que le lieutenant de police apparut en costume noir, modérant la sévérité de ses yeux gris et la raideur de ses lèvres minces par un sourire du plus charmant augure.

— Bonjour, mon ennemi, dit, sans le regarder, la comtesse, qui le voyait dans son miroir.

— Votre ennemi, moi, madame ?

— Sans doute, vous. Le monde, pour moi, se divise en deux classes de personnes : les amis et les ennemis. Je n’admets pas les indifférents, ou je les range dans la classe de mes ennemis.

— Et vous avez raison, madame. Mais dites-moi comment j’ai, malgré mon dévouement bien connu pour vous, mérité d’être rangé dans l’une ou l’autre de ces deux classes ?

— En laissant imprimer, distribuer, vendre, remettre au roi tout un monde de petits vers, de pamphlets, de libelles dirigés contre moi. C’est méchant, c’est odieux ! c’est stupide !

— Mais enfin, madame, je ne suis pas responsable…

— Si fait, monsieur, vous l’êtes, car vous savez quel est le misérable qui fait tout cela.

— Madame, si ce n’était qu’un seul auteur, nous n’aurions pas besoin de le faire crever à la Bastille, il crèverait bientôt tout seul de fatigue sous le poids de ses ouvrages.

— Savez-vous que c’est tout au plus obligeant ce que vous dites-là ?

— Si j’étais votre ennemi, madame, je ne vous le dirais pas.

— Allons, c’est vrai, n’en parlons plus. Nous sommes au mieux maintenant, c’est convenu, cela me fait plaisir ; mais une chose m’inquiète encore cependant.

— Laquelle, madame ?

— C’est que vous êtes au mieux avec les Choiseul.

— Madame, M. de Choiseul est premier ministre ; il donne des ordres, et je dois les exécuter.