Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/34

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affrontait avec tant de calme et tant de hardiesse à la fois le mécontentement du grand maître.

— Parle, frère, dit le grand Cophte, sans paraître ému, ton avis sera suivi s’il est bon. Nous autres, élus de Dieu, nous ne repoussons personne et nous ne sacrifions point l’intérêt d’un monde au froissement de notre amour-propre.

Le député de la Suisse poursuivit au milieu d’un profond silence :

— Dans mes études j’ai réussi, très vénérable grand maître, à me convaincre d’une vérité : c’est que toujours la physionomie des hommes révèle à l’œil qui sait y lire leurs vices et leurs vertus. L’homme compose son visage, il adoucit son regard, il fait sourire ses lèvres ; tous ces mouvements musculaires sont en sa puissance ; mais le type principal de son caractère reste en saillie, lisible et irréfragable témoignage de ce qui se passe dans son cœur. Ainsi le tigre, lui aussi, a de charmants sourires et de caressantes œillades ; mais à son front bas, à ses pommettes saillantes, à son occiput énorme, à son rictus sanglant, vous le reconnaissez tigre. Le chien, de son côté, fronce le sourcil, montre ses dents et joue la rage ; mais à son œil doux et franc, à sa face intelligente, à sa démarche obséquieuse, vous le reconnaissez serviable et amical. Dieu a écrit sur les faces de chaque créature son nom et sa qualité. Eh bien ! moi, j’ai lu sur le front de la jeune fille qui doit régner en France la fierté, le courage et la charité si tendre des filles d’Allemagne ; j’ai lu sur le visage du jeune homme qui sera son époux le sang-froid calme, la mansuétude chrétienne et l’esprit minutieux de l’observateur. Or comment un peuple, et surtout ce peuple français qui n’a pas de mémoire pour le mal et qui n’oublie jamais le bien, puisqu’il lui a suffi de Charlemagne, de saint Louis et de Henri IV pour sauvegarder vingt rois lâches et cruels ; comment un peuple qui espère toujours et qui ne désespère jamais, n’aimerait-il pas une reine jeune, belle et bonne, un roi doux, clément et bon administrateur, après l’ère désastreuse et dilapidatrice de Louis XV, après ses publiques orgies et ses sournoises vengeances, après le règne des Pompadour et des Dubarry ! la France ne bénira-