Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oui, monsieur, et c’est tout simple, car je suis chez lui depuis mon enfance.

— C’est votre parent, peut-être ?

— Non, monsieur.

— Votre tuteur ?

— Non.

— Votre maître ?

Le jeune homme tressaillit à ce mot de maître, et une vive rougeur colora ses joues ordinairement pâles.

— Je ne suis pas domestique, monsieur, dit-il.

— Mais enfin, reprit le voyageur, vous êtes quelque chose.

— Je suis le fils d’un ancien métayer du baron ; ma mère a nourri mademoiselle Andrée.

— Je comprends ; vous êtes dans la maison à titre de frère de lait de la jeune personne, car je suppose que la fille du baron est jeune.

— Elle a seize ans, monsieur.

Sur les deux questions, comme on le voit, Gilbert en escamotait une. C’était celle qui lui était personnelle.

Le voyageur parut faire la même réflexion que nous ; cependant il dirigea son interrogatoire vers un autre point.

— Par quel hasard étiez-vous sur la route par un temps comme celui qu’il fait ? demanda-t-il.

— Je n’étais pas sur la route, monsieur, j’étais sous une roche qui longe le chemin.

— Et que faisiez-vous sous cette roche ?

— Je lisais.

— Vous lisiez ?

— Oui.

— Et que lisiez-vous ?

— Le Contrat social de monsieur J.-J. Rousseau.

Le voyageur regarda le jeune homme avec un certain étonnement.

— Vous aviez pris ce livre dans la bibliothèque du baron ? demanda-t-il.

— Non, monsieur, je l’ai acheté.

— Où cela ?… À Bar-le-Duc ?