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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/168

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honte ; du jour, enfin, où il y avait danger pour Andrée, danger pour Gilbert, la situation changea complétement, et Gilbert, esprit éminemment juste, changeait avec elle de point de vue.

Disons-le, son premier sentiment fut une profonde tristesse. Il ne vit pas sans douleur se flétrir la beauté, la santé de sa maîtresse. Il éprouva le délicieux orgueil de plaindre cette femme si fière, si dédaigneuse avec lui, et de lui rendre la pitié pour tous les opprobres dont elle l’avait couvert.

Ce n’est pas là cependant que nous trouvons Gilbert excusable : l’orgueil ne justifie rien ; aussi n’entra-t-il que de l’orgueil dans l’habitude qu’il prit d’envisager la situation. Chaque fois que mademoiselle de Taverney, pâle, souffrante et inclinée, paraissait comme un fantôme aux yeux de Gilbert, le cœur de celui-ci bondissait, le sang montait à ses paupières comme font les larmes, et il appuyait sur sa poitrine une main crispée, inquiète, qui cherchait à comprimer la révolte de sa conscience.

— C’est par moi qu’elle est perdue, murmurait-il.

Et, après l’avoir couvée d’un regard furieux et dévorant, il s’enfuyait croyant toujours la revoir et l’entendre gémir.

Alors il lui venait au cœur, il ressentait une des plus poignantes douleurs qu’il soit donné à l’homme de supporter. Son furieux amour avait besoin d’un soulagement, et il eût parfois sacrifié sa vie pour avoir le droit de tomber aux genoux d’Andrée, de lui prendre la main, de la consoler, de la rappeler à la vie quand elle s’évanouissait. Son impuissance dans ces occasions était un supplice dont rien au monde ne saurait décrire les tortures.

Gilbert supporta trois jours ce martyre.

Le premier, il avait remarqué le changement, la lente décomposition qui s’opérait chez Andrée. Là où nul ne voyait encore rien, lui, le complice, devinait et expliquait tout. Il y eut plus : après avoir étudié la marche du mal, il supputa l’époque précise où la crise éclaterait.

Le jour des évanouissements se passa pour lui en transes, en sueurs, en vagues démarches, indices certains d’une conscience