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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/226

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vous croiriez ne faire qu’une égratignure à mon cœur, et vous l’ouvririez comme avec un poignard : je vous le répète, j’ai un enfant.

Rousseau le regarda sans lui répondre.

— Sans cela, je serais déjà mort, continua Gilbert ; dans cette alternative, je me suis dit que vous me donneriez un bon conseil, et je suis venu.

— Mais, demanda Rousseau, pourquoi donc ai-je des conseils à vous donner, moi ? est-ce que vous m’avez consulté quand vous avez fait la faute ?

— Monsieur, cette faute…

Et Gilbert, avec une expression étrange, s’approcha de Rousseau.

— Eh bien ? fit celui-ci.

— Cette faute, reprit Gilbert, il y a des gens qui l’appellent un crime.

— Un crime ! raison de plus alors pour que vous ne m’en parliez pas. Je suis un homme comme vous, et non un confesseur. D’ailleurs, ce que vous me dites ne m’étonne point, j’ai toujours prévu que vous tourneriez mal ; vous êtes une méchante nature.

— Non, monsieur, répondit Gilbert en secouant mélancoliquement la tête. Non, monsieur, vous vous trompez ; j’ai l’esprit faux ou plutôt faussé ; j’ai lu beaucoup de livres qui m’ont prêché l’égalité des castes, l’orgueil de l’esprit, la noblesse des instincts ; ces livres, monsieur, étaient signés de si illustres noms, qu’un pauvre paysan comme moi a bien pu s’égarer… Je me suis perdu.

— Ah ! ah ! je vois où vous voulez en venir, monsieur Gilbert.

— Moi ?

— Oui ; vous accusez ma doctrine ; n’avez-vous pas le libre arbitre ?

— Je n’accuse pas, monsieur, je vous dis ce que j’ai lu ; ce que j’accuse, c’est ma crédulité, j’ai cru, j’ai failli ; il y a deux causes à mon crime : vous êtes la première et je viens d’abord