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Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 5.djvu/266

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affectées au service de cette route ne se serait pas déjà mise en chemin.

Il n’attendit pas longtemps ; un carrosse usé, fané, brisé, tiré par une maigre jument isabelle, commençait à cahoter la route : son cocher, à l’œil vigilant et morne, cherchait au loin un voyageur dans les arbres, comme Énée un de ses vaisseaux dans les vagues de la mer Tyrrhénienne.

En apercevant Philippe, l’automédon fit sentir plus énergiquement le fouet à sa jument ; si bien que le carrosse rejoignit le voyageur.

— Arrangez-vous de façon, dit Philippe, qu’à neuf heures précises je sois à Versailles, et vous aurez un demi-écu.

À neuf heures, en effet, Philippe avait de la dauphine une de ces audiences matinales comme elle commençait à en donner. Vigilante et s’affranchissant de toute loi d’étiquette, la princesse avait l’habitude de visiter le matin les travaux qu’elle faisait exécuter dans Trianon ; et trouvant sur son passage les solliciteurs à qui elle avait accordé un entretien, elle terminait rapidement avec eux, avec une présence d’esprit et une affabilité qui n’excluaient point la dignité, parfois même la hauteur, quand elle s’apercevait qu’on se méprenait à ses délicatesses.

Philippe avait d’abord résolu de faire la route à pied, car il en était réduit aux plus dures économies ; mais le sentiment de l’amour-propre, ou peut-être seulement celui d’un respect que tout militaire ne perd jamais pour sa tenue vis-à-vis du supérieur, avait forcé le jeune homme à dépenser une journée d’économies pour se rendre en habit décent à Versailles..

Philippe comptait bien revenir à pied. Sur le même degré de l’échelle, partis de deux points opposés, le patricien Philippe et le plébéien Gilbert s’étaient, comme on voit, rencontrés.

Philippe revit, avec le cœur serré, tout ce Versailles encore magique, où tant de rêves dorés et roses l’avaient enchanté de leurs promesses. Il revit avec le cœur brisé, Trianon, souvenir de malheur et de honte ; à neuf heures précises, il longeait, muni de sa lettre d’audience, le petit parterre aux abords du pavillon.

Il aperçut, à une distance de cent pas environ, la princesse