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LA REINE MARGOT.

le jeune prince en pâlissant et en déchiquetant la broderie de ses manches.

Marguerite commençait à comprendre ce que Catherine avait dit tout bas à Charles IX : mais elle fit semblant de demeurer dans son ignorance.

— Pourquoi me dites-vous cela, mon frère ? répondit-elle avec un air de mélancolie parfaitement joué ; est-ce pour me rappeler que personne ici ne m’aime et ne tient à moi : pas plus ceux que la nature m’a donnés pour protecteurs que celui que l’Église m’a donné pour époux ?

— Vous êtes injuste, dit vivement le duc d’Alençon en rapprochant encore son fauteuil de celui de sa sœur, je vous aime et vous protège, moi.

— Mon frère, dit Marguerite en le regardant fixement, vous avez quelque chose à me dire de la part de la reine mère.

— Moi ! vous vous trompez, ma sœur, je vous jure ; qui peut vous faire croire cela ?

— Ce qui peut me le faire croire, c’est que vous rompez l’amitié qui vous attachait à mon mari ; c’est que vous abandonnez la cause du roi de Navarre.

— La cause du roi de Navarre ! reprit le duc d’Alençon tout interdit.

— Oui, sans doute. Tenez, François, parlons franc. Vous en êtes convenu vingt fois, vous ne pouvez vous élever et même vous soutenir que l’un par l’autre. Cette alliance…

— Est devenue impossible, ma sœur, interrompit le duc d’Alençon.

— Et pourquoi cela ?

— Parce que le roi a des desseins sur votre mari. Pardon ! en disant votre mari, je me trompe : c’est sur Henri de Navarre que je voulais dire. Notre mère a deviné tout. Je m’alliais aux huguenots parce que je croyais les huguenots en faveur. Mais voilà qu’on tue les huguenots et que dans huit jours il n’en restera pas cinquante dans tout le royaume. Je tendais la main au roi de Navarre, parce qu’il était… votre mari. Mais voilà qu’il n’est plus votre mari. Qu’avez-vous à dire à cela, vous qui êtes non-seulement la plus belle femme de France, mais encore la plus forte tête du royaume ?

— J’ai à dire, reprit Marguerite, que je connais notre frère Charles. Je l’ai vu hier dans un de ces accès de fré-