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LA REINE MARGOT.

veines plus calme et plus rafraîchi qu’il n’avait jamais encore été depuis le moment du duel ; un jour d’absence de La Mole eût rendu la connaissance à Coconnas, huit jours l’eussent guéri peut-être ; malheureusement La Mole rentra au bout de deux heures.

Cette rentrée fut pour le Piémontais un véritable coup de poignard, et, quoique La Mole ne rentrât point seul, Coconnas n’eut pas un regard pour son compagnon.

Son compagnon méritait cependant bien qu’on le regardât.

C’était un homme d’une quarantaine d’années, court, trapu, vigoureux, avec des cheveux noirs qui descendaient jusqu’aux sourcils, et une barbe noire qui, contre la mode du temps, couvrait tout le bas de son visage ; mais le nouveau venu paraissait peu s’occuper de mode. Il avait une espèce de justaucorps de cuir tout maculé de taches brunes, des chausses sang-de-bœuf, un maillot rouge, de gros souliers de cuir montant au-dessus de la cheville, un bonnet de la même couleur que ses chausses, et la taille serrée par une large ceinture à laquelle pendait un couteau caché dans sa gaine.

Cet étrange personnage, dont la présence semblait une anomalie dans le Louvre, jeta sur une chaise le manteau brun qui l’enveloppait, et s’approcha brutalement du lit de Coconnas, dont les yeux, comme par une fascination singulière, demeuraient constamment fixés sur La Mole, qui se tenait à distance. Il regarda le malade, et secouant la tête :

— Vous avez attendu bien tard, mon gentilhomme ! dit-il.

— Je ne pouvais pas sortir plus tôt, dit La Mole.

— Eh ! pardieu ! il fallait m’envoyer chercher.

— Par qui ?

— Ah ! c’est vrai ! J’oubliais où nous sommes. Je l’avais dit à ces dames ; mais elles n’ont point voulu m’écouter. Si l’on avait suivi mes ordonnances, au lieu de s’en rapporter à celles de cet âne bâté que l’on nomme Ambroise Paré, vous seriez depuis longtemps en état ou de courir les aventures ensemble, ou de vous redonner un autre coup d’épée si c’était votre bon plaisir ; enfin on verra. Entend-il raison, votre ami ?

— Pas trop.

— Tirez la langue, mon gentilhomme.

Coconnas tira la langue à La Mole en faisant une si affreuse