Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/107

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te. On eût dit un de ces géants comme il y en avait autre fois dans les cavernes du mont Etna, et qui poursuivaient jusque dans la mer les vaisseaux qui avaient le malheur de relâcher à Catane ou à Taormine. Nous n’avions plus de bras, nous n’avions plus voix, nous n’avions que des yeux. Quant à moi, je me rappelle que j’étais comme un hébété ; je suivais du regard un grand oiseau de mer qui avait été entraîné dans la trombe, et qui tourbillonnait comme un grain de sable, sans pouvoir sortir du cercle qui l’enfermait. À mesure que la trombe s’approchait nous reculions devant elle ; si bien que nous nous trouvâmes tous entassés sur l’avant du navire, excepté le pilote qui, ferme à son poste, était resté à l’arrière. Tout à coup le bâtiment trembla comme si, lui aussi, il avait eu peur. Les mâts plièrent comme des joncs, les voiles se déchirèrent comme des toiles d’araignée ; le bâtiment se retourna sur lui-même. Nous étions tous engloutis.

Je ne sais pas le temps que je passai sous l’eau. Autant que je pus calculer, j’ai bien plongé à une trentaine de pieds de profondeur. Heureusement, j’avais eu le temps de faire provision d’air, de sorte que je n’étais pas encore trop ébouriffé en revenant à la surface de la mer. J’ouvris les yeux, je regardai autour de moi, et la première chose que je vis, c’était notre pauvre bâtiment flottant cap dessus cap dessous, comme une baleine morte. Au même instant je m’entendis appeler ; je me retournai, c’était le capitaine. Allons, allons, courage ! que je lui dis ; nous ne sommes pas paralytiques, et, avec la grâce de Dieu, nous pouvons nous en tirer.

— Oui, oui, dit le capitaine ; mais en voilà encore un qui reparaît derrière toi : c’est Vicenzo.

— À moi ! cria Vicenzo ; je sens que j’ai la jambe cassée, je ne puis pas me soutenir sur l’eau.

— Poussons-le au bâtiment, capitaine ; il se mettra à cheval dessus, et, tant qu’il ne sera pas coulé tout à fait, eh bien! il aura la chance d’être vu par quelque barque de pêche. Courage ! Vicenzo, courage !

Nous le primes chacun par-dessous un bras, et nous le soutînmes sur l’eau ; puis, arrivé au bâtiment, il s’y cramponna, et, à l’aide de ses deux mains et de sa bonne jambe, il parvint à se jucher sur la quille. — Ah ! dit-il quand il