Page:Dumas - Le Capitaine Aréna.djvu/43

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norés de se mêler de leurs affaires ; quelques-uns n’avaient jamais mis le pied dans leurs domaines et demeuraient sans cesse à Naples ou à Palerme. On demandait au prince de P... où était située la terre dont il portait le nom.

— Mais je ne sais pas trop, répondit-il ; je crois que c’est entre Girgenti et Syracuse.

C’était entre Messine et Catane.

Avant l’introduction de la loi française, lorsqu’un baron sicilien mourait, son successeur, qui n’était point forcé d’accepter l’héritage sous bénéfice d’inventaire, commençait par s’emparer de tout ; puis il envoyait promener les créanciers. Les créanciers proposaient alors de se contenter des intérêts ; la demande paraissait raisonnable, et on y accédait ; souvent, lorsque celte proposition était faite, les créanciers, grâce au taux énorme auquel l’argent avait été prêté, étaient déjà rentrés dans leur capital ; tout ce qu’ils touchaient était donc un bénéfice clair et net, dont ils se contentaient comme d’un excellent pis-aller.

Mais du moment où l’abolition des majorats et des substitutions fut introduite, les choses changèrent : les créanciers mirent la main sur les terres ; les frères cadets, à leur tour, devinrent créanciers de leurs aînés ; il fallut vendre pour opérer les partages, et du jour au lendemain il se trouva en suite plus de vendeurs que d’acheteurs ; il en résulta que le taux des terres tomba de quatre-vingts pour cent ; de plus, ces terres en souffrance, et sur lesquelles pesaient des procès, cessèrent d’être cultivées, et la Sicile, qui du superflu de ses douze millions d’habitans nourrissait autrefois l’Italie, ne récolta plus même assez de blé pour faire subsister les onze cent mille enfans qui lui restent.

Il va sans dire que les impôts restèrent les mêmes.

Aussi y a-t-il dans le monde entier peu de pays aussi pauvres et aussi malheureux que la Sicile.

De cette pauvreté, absence d’art, de littérature, de commerce, et par conséquent de civilisation.

J’ai dit quelque part, je ne sais plus trop où, qu’en Sicile ce n’étaient point les aubergistes qui nourrissaient les voyageurs, mais bien au contraire les voyageurs qui nourrissaient les aubergistes. Cet axiome, qui au premier abord peut pa-